Palais du gouvernement à la Kasbah.
Au moment où l’Etat est censé soumis à des restrictions budgétaires, des responsables publics transfèrent leurs bureaux dans des locaux aux loyers dispendieux.
Par Khemaies Krimi
Signe de mauvaise gestion manifeste, la tendance de certains ministères et entreprises publiques à abandonner leurs sièges sociaux historiques, propriétés de l’Etat, et à migrer vers des locaux flambants neufs loués, auprès de privés, à des prix dispendieux. Une tendance scandaleuse, eu égard la situation générale des finances publiques.
Les responsables de ces décisions les justifient le plus souvent par la non-fonctionnalité et l’étroitesse des anciens locaux, ainsi que par la nécessité de regrouper dans un même local tous les services du ministère ou de l’entreprise publique.
Ce n’est pourtant pas le moment
Cette tendance à louer de nouveaux bureaux par des entreprises publiques et des départements ministériels s’est renforcée, depuis le fameux soulèvement du 14 janvier 2011, c’est-à-dire à une période marquée par le resserrement des dépenses publiques et le recul de la productivité dans des administrations et entreprises publiques aux effectifs devenus pléthoriques et en partie inutiles. Pis encore, faut-il le rappeler, ces entreprises cumulent un déficit de plus de 5 milliards de dinars.
Ainsi, sous prétexte de rénover leurs anciens locaux qui sont des propriétés de l’Etat, certaines de ces entreprises ont déjà démoli leur siège et entamé, en cette période de précarité financière, la construction de nouveaux bâtiments, comme si le moment s’y prêtait vraiment.
Siège de la Steg, au centre-ville de Tunis.
C’est le cas actuellement de la Société tunisienne d’électricité et de gaz (Steg). Entreprise publique déficitaire subventionnée annuellement par l’Etat à hauteur de plusieurs milliards de dinars (2,7 Mds en 2013) et constamment pointée du doigt pour mauvaise gouvernance, la Steg, qui traîne des factures impayées auprès de ses clients dépassant 1 milliard de dinars, n’a pas trouvé mieux, en cette période de crise des finances publiques, que d’engager des travaux de grande envergure pour rénover un siège encore opérationnel pour plusieurs dizaines d’années, déplorent les syndicats de l’entreprise.
La Steg n’a certes pas communiqué sur ce sujet mais le chantier est visible de l’extérieur de son siège, à partir de l’avenue Jean Jaurès, au centre-ville de Tunis.
Le cas de loyers exorbitants
D’autres entreprises publiques semblent avoir quitté leur ancien siège parce qu’il n’était pas du goût de leur direction. L’exemple le plus frappant est celui de l’Entreprise tunisienne des activités pétrolières (Etap) qui, sous prétexte de moderniser son siège sis à l’avenue Kheireddine Pacha, a déménagé, depuis 2012, de son siège, propriété de l’Etat tunisien, à un nouveau local loué sur l’Avenue Mohamed V, pour un loyer mensuel de 1 million de dinars tunisiens (MDT). Le cas de l’Etap est plus grave que celui de la Steg en ce sens où la première entreprise publique n’a même pas entamé la reconstruction de son ancien siège social. La direction, qui jouit, du reste, d’une mauvaise presse, semble trouver son confort à l’Avenue Mohamed V.
Le groupe public Snipe, qui publie les quotidiens ‘‘La Presse’’ et ‘‘Essahafa’’, paye lui aussi le prix d’une mauvaise décision antérieure de déménagement de son siège historique, sis à la rue Ali Bach Hamba, à un autre loué à la rue Garibaldi, au centre-ville de Tunis. Le prix du loyer, estimé à plus de 300.000 DT par an, plombe, aujourd’hui, les finances du groupe qui a commencé sous sa nouvelle direction à réfléchir sérieusement à contracter un prêt pour la reconstruction de son ancien siège.
En ce qui concerne les ministères, celui du Commerce a déménagé une partie de ses locaux de l’avenue Kheireddine Pacha, pour les installer à l’ancien siège de la Banque africaine de développement (BAD), à la rue de la Monnaie, à Tunis, également loué au prix fort. Celui du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale a déménagé, lui aussi, une partie de ses services de la Place Pasteur, à Tunis, dans un immeuble sis au quartier chic des Berges du Lac de Tunis. Apparemment pour faire bonne impression sur les représentants des bailleurs de fonds et investisseurs étrangers qui viennent visiter la Tunisie.
Le cas le plus récent est celui du ministère des Technologies de l’information et de l’Economie numérique dont une partie des services vient d’être installée dans un immeuble flambant neuf de 8 étages situé sur l’avenue Mohamed V. Pis, le détenteur du portefeuille, le Nahdhaoui Anouar Maarouf, ne cesse, depuis qu’il a été nommé à la tête de ce département, de réclamer, dans les médias, l’urgence d’installer ses bureaux dans un nouveau siège social, arguant du fait que l’ancien est vétuste et n’est plus fonctionnel. Pourtant, aucun de ses prédécesseurs ne s’en est plaint.
On comprend que ce scénario de transfert soit dénoncé par le syndicat des agents et des fonctionnaires du ministère, qui plus est, à un moment où l’Etat est censé soumis à des restrictions budgétaires.
Interpellé sur ce sujet, Nabil Arfaoui, secrétaire général du syndicat, a fait la déclaration suivante : «On nous parle souvent d’un déménagement compte tenu du mauvais état du bâtiment. Or, il s’est avéré que l’on avait l’intention de l’accorder à la Poste. Ainsi, nous serons transférés vers un autre bâtiment dans un état pire que le premier».
La liste est loin d’être exhaustive. La tendance est réelle. Beaucoup d’autres départements ont migré du centre ville pour louer, à des prix exorbitants, dans des quartiers chic du Grand Tunis.
Moralité de l’histoire: trop d’argent est gaspillé par l’effet de ces loyers excessifs et pas toujours justifiés au regard du mauvais rendement général des locataires publics.
Le gouvernement, qui à la charge de la gestion des deniers publics, et le parlement, qui donne son aval pour ces loyers dans le cadre du vote des budgets des ministères, sont responsables de cette mauvaise gestion et de ce laisser-aller.
Ce gaspillage de l’argent public pose, par ailleurs, un problème moral en Tunisie, d’autant que ces loyers dispendieux se font aux dépens d’une grande partie des Tunisiens dont le pouvoir d’achat se réduit comme peau de chagrin et qui manquent de tout, comme cette femme mère de cinq enfants et dont le mari est invalide, Radhia Mechergui, de Sejnane, qui s’était immolée par le feu pour protester contre l’injustice d’un responsable régional qui lui avait refusé une aide sociale de 150 dinars par mois. Sans commentaire…
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