Un cabinet international prévoit une évolution mitigée de la transition politique et économique tunisienne et une victoire des islamistes aux municipales de mai 2018.
Par Asef Ben Ammar, Ph. D.
Des bonnes et moins bonnes nouvelles ont été publiées au sujet de la Tunisie, dans un communiqué signé par l’Unité de veille stratégique ‘‘The Economist Intelligence Unity’’ (EIU, communiqué en anglais et accessible sur le net avec frais).
Ce communiqué publié la fin de la semaine dernière apporte de nouvelles prévisions et prospectives qui sont destinées aux investisseurs et acteurs économiques internationaux, intéressés par la Tunisie.
Des perspectives politiques éprouvantes, mais stables
Le bulletin entrevoit de sérieux tests et défis pour la transition démocratique en Tunisie, et ce durant les mois et années à venir. Les analystes notent la «fracture du paysage politique», insistant sur sérieux défis sécuritaires et économiques; et jugeant ces défis comme pouvant «miner la stabilité politique…». Mais, l’EIU reste optimiste, avançant que les institutions démocratiques en place en Tunisie tiendront le coup et resteront intactes, même si elles seront sévèrement testées.
En revanche, l’EIU donne Ennahdha gagnant pour les prochaines élections municipales, «… Hizb al-Nahda, un parti islamiste modéré, gagnera la plupart des municipalités… profitant de la fragmentation de Nidaa Tounes», lit-on. Une nouvelle qui contredit toutes les prévisions et projections produites par des maisons de sondage très présentes sur la scène médiatique en Tunisie.
L’EIU avance que les élections municipales auront lieu en mai 2018, et ne peuvent plus être reportées… Les bailleurs de fonds internationaux, notamment ceux qui soutiennent la transition démocratique, ne permettront pas un autre report, selon les dires des prévisionnistes de l’EIU. Ceux-ci ajoutent que certains dans l’establishment politique tunisien restent opposés à la décentralisation politique que les élections vont ramener de facto !
Au niveau international, l’EIU est optimiste quant à la capacité de la Tunisie à continuer de bénéficier de l’aide internationale, notamment dans les domaines de la sécurité et la reconstruction de l’économie. Une telle aide serait, selon les prévisionnistes de l’EIU, conditionnée à un arrêt progressif des flux d’immigrants venant des côtes tunisiennes et arrivant en Europe. En même temps, la Tunisie continuera de prioriser l’attractivité des touristes européens «une source majeure de revenus en devises fortes».
Des projections économiques encore fragiles
Les analystes de l’EIU mettent de l’avant les promesses de la stratégie de politique économique du gouvernement en mettant entre guillemets la promesse d’introduction d’un «nouveau modèle», visant à «…assouplir la réglementation des changes … poursuivre les réformes convenues avec le FMI pour réduire de moitié le déficit budgétaire à 3% du PIB d’ici 2020, en ramenant la masse salariale du secteur public à 12,5% du PIB (contre environ 14% actuellement); réduire le coût des subventions; réformer le système de retraite; restructurer les entreprises publiques déficitaires; et maintenir la dette du secteur public en dessous de 70% du PIB».
L’EIU trouve ces intentions et objectifs ambitieux, et quasiment irréalistes, mettant en cause les blocages des partis de gauche et l’opposition de la puissante Union générale tunisienne du travail (UGTT). Allant jusqu’à dire que le statu quo actuel ne conduira pas à des améliorations rapides de l’économie. Le communiqué rappelle les manifestations et protestations ayant suivi les mesures d’austérité introduites dans le budget de 2018, et partout en Tunisie en janvier, et note que le «gouvernement restera très prudent à l’avenir surtout avec les élections prévues en 2019».
Les analystes mettent ainsi en lumière le paradoxe du gouvernement actuel, et qui, selon eux, continuera à être ferme dans le discours, mou dans les gestes : «le gouvernement continue à parler dur, afin de garder le FMI de son côté, mais d’agir timidement pour éviter le mécontentement populaire».
Pariant sur une amélioration de la croissance économique par rapport à 2015-17, l’EIU note que de tels niveaux de croissance ne feront pas baisser substantiellement le chômage (qui dépasse actuellement les 15%) et ne feront pas apaiser les tensions sociales. Le communique note explicitement que : i) l’agriculture tunisienne est encore handicapée par l’insuffisance de l’infrastructure et des installations électriques, ii) la production manufacturière et la croissance industrielle sont «freinées par les tensions sociales en train de mijoter», iii) les services commerciaux souffriront de la faiblesse de la demande des consommateurs et d’un climat des affaires déprimé, iv) le tourisme se redressera avec le retour progressif des visiteurs européens en Tunisie, «en dépit de sa vulnérabilité à l’insécurité et malgré des prix encore peu compétitifs».
Sur le front de l’inflation, les prévisionnistes de l’EIU ne prévoient pas une accalmie notable, notamment en raison des augmentations salariales exigées par l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), la dévaluation, la hausse des prix du pétrole.
Quant à la politique monétaire, les nouvelles sont moins roses, puisque tout porte à croire que le nouveau gouverneur ira vers un resserrement dans la continuité de l’œuvre de son prédécesseur (limogé la semaine dernière) et dans la trajectoire esquissée par le FMI.
Le dinar tunisien devrait se déprécier encore plus
L’EIU affiche le même pessimisme face au taux de change en déclarant que «le dinar tunisien devrait se déprécier encore plus, tout au long de la période de prévision, et ce comme convenu avec le FMI, qui exige de la Banque centrale un vrai repli en matière de défense de la monnaie, afin de stimuler la compétitivité des exportations».
Pour expliquer ces tendances baissières, les auteurs du communiqué tiennent compte des impondérables internationaux, faisant référence aux resserrements monétaires aux États-Unis et en Europe au cours de 2018-2019. Des impondérables qui pèseront défavorablement sur les élections tunisiennes de 2019.
Selon les projections de l’EIU, la dépréciation du dinar va continuer, allant jusqu’à prévoir un dollar valant 3 dinars tunisiens (DT) dans les prochaines années. Le communiqué ne fait pas d’estimation pour le taux de change du DT face à l’Euro, mais par déduction, on peut anticiper un Euro valant 3,5 dinars dans un futur très proche.
Enfin, le communiqué souligne que malgré tout, l’économie est en amélioration progressive, et elle soutiendra la croissance de la demande d’importation, bien que cette croissance soit limitée par un dinar toujours plus faible.
L’effet net attendu a trait à un déficit commercial structurel qui se rétrécira en proportion du PIB en 2018-22, mais restera important. Dans l’ensemble, le déficit du compte courant se rétrécira légèrement au cours de la période de prévision, mais avec une moyenne supérieure à 9%.
* Analyste en économie politique.
Articles du même auteur dans Kapitalis:
Banque centrale de Tunisie : Quel bilan et quel legs de l’ère Ayari ?
Tunisie : La démocratie est-elle à la veille de se tirer dans le pied?
Tunisie : Exode économique des jeunes, ressentiment politique des vieux !
Donnez votre avis