Cette pétition intitulée ‘‘Manifeste contre le séparatisme islamiste’’, lancée en France par le collectif Résistons 2018, a recueilli à ce jour plus de 3000 signatures d’activistes, d’intellectuels et d’artistes.
Nous sommes des citoyens d’opinions différentes et très souvent opposées qui se trouvent d’accord pour exprimer, en dehors de toute actualité, leur inquiétude face à la montée de l’islamisme. Ce ne sont pas nos affinités qui nous réunissent, mais le sentiment qu’un danger menace la liberté en général et pas seulement la liberté de pensée. Ce qui nous réunit aujourd’hui est plus fondamental que ce qui ne manquera pas de nous séparer demain.
Le nouveau totalitarisme islamiste cherche à gagner du terrain par tous les moyens et à passer pour une victime de l’intolérance. On a pu observer cette stratégie lorsque le syndicat d’enseignants SUD Éducation 93 proposait il y a quelques semaines un stage de formation comportant des ateliers de réflexion sur le «racisme d’État» interdits aux «Blanc.he.s».
Certains animateurs étaient membres ou sympathisants du Collectif Contre l’Islamophobie en France et du Parti des Indigènes de la République. Les exemples de ce genre se sont multipliés dernièrement. Nous avons ainsi appris que la meilleure façon de combattre le racisme serait de séparer les «races». Si cette idée nous heurte, c’est que nous sommes républicains.
Nous entendons aussi dire que puisque les religions sont bafouées en France par une laïcité «instrumentalisée», il faudrait donner à celle qui est minoritaire, c’est-à-dire à l’islam, une place spéciale pour qu’elle cesse d’être humiliée. La même idée se poursuit : il paraît qu’en se couvrant d’un voile les femmes se protégeraient des hommes et que se mettre à part leur permettrait de s’affranchir.
Le point commun de ces proclamations est de penser que la seule façon de défendre les «dominés» (ce n’est pas notre vocabulaire mais celui de SUD Éducation 93), serait de les mettre à l’écart des autres et de leur accorder des privilèges.
Il n’y a pas longtemps, l’apartheid régnait en Afrique du Sud. Reposant sur la ségrégation des Noirs, il voulait se disculper en créant des bantoustans où une autonomie factice leur était concédée. Un tel système a heureusement disparu.
Et voici qu’aujourd’hui, c’est un apartheid d’un nouveau genre qui est proposé à la France, une ségrégation à l’envers grâce à laquelle les «dominés» préserveraient leur dignité en se mettant à l’abri des «dominants».
Mais alors, cela veut dire qu’une femme qui ôte le voile et sort dans la rue deviendrait une proie normale? Cela veut dire qu’une «race» qui côtoie les autres serait humiliée? Cela veut dire qu’une religion qui accepte de n’être qu’une parmi d’autres perdrait la face?
Et les Français musulmans, ou de culture musulmane sans être croyants, qui aiment la démocratie et veulent vivre avec tout le monde, l’islamisme a-t-il prévu de les mettre à part eux aussi? Et les femmes qui refusent d’être enfermées, qui décidera pour elles ? Et les autres, ceux qui ne méritent apparemment pas d’être protégés : sous clé dans le camp des «dominants» ?
Tout cela va à l’encontre de ce qui a été fait en France pour garantir la paix civile. Depuis longtemps, l’unité du pays a été fondée sur l’indifférence à l’égard des particularismes pouvant être cause de conflit. Ce qu’on appelle l’universalisme républicain ne consiste pas à nier les sexes, les races ou les religions, mais à définir l’espace civique indépendamment d’eux pour que personne n’en soit exclu. Et comment ne pas voir que la laïcité protège aussi les religions minoritaires? La mettre en péril nous expose au retour des guerres de religion.
À quoi peut donc servir ce ségrégationnisme nouvelle manière? Doit-il seulement permettre aux soi-disant «dominés» de sauvegarder leur pureté en vivant entre eux? N’a-t-il pas surtout pour but d’affirmer la sécession avec la communauté nationale, avec ses lois et ses mœurs? N’est-il pas l’expression de la haine la plus caractérisée à l’égard de notre pays et de la démocratie?
Que chacun vive dans la loi de sa communauté ou de sa caste et dans le mépris de celle des autres, que chacun ne soit jugé que par les siens, cela est contraire à l’esprit de la République. Celle-ci a été fondée sur le refus de droits privés s’appliquant à des catégories spécifiques et exclusives, autrement dit sur l’abolition des privilèges. Les mêmes lois pour chacun de nous, voilà ce que nous garantit au contraire la République. C’est ce qu’on appelle tout simplement la justice.
Le nouveau séparatisme avance masqué. Il veut paraître bénin, mais il est en réalité l’arme de la conquête politique et culturelle de l’islamisme. L’islamisme veut être à part car il rejette les autres, y compris les musulmans qui ne partagent pas ses vues. L’islamisme déteste la souveraineté démocratique car elle lui refuse toute légitimité. L’islamisme se sent humilié lorsqu’il ne domine pas.
Il n’est pas question d’accepter cela. Nous voulons vivre dans un monde complet où les deux sexes se regardent sans se sentir insultés par la présence de l’autre. Nous voulons vivre dans un monde complet où les femmes ne sont pas jugées inférieures par nature. Nous voulons vivre dans un monde complet où les gens peuvent se côtoyer sans se craindre. Nous voulons vivre dans un monde complet où aucune religion ne fait la loi.
Le manifeste des «Cent intellectuels contre le séparatisme islamiste» a été publié le 20 mars 2018 dans ‘‘Le Figaro’’, accompagné des signatures suivantes : Waleed Al-Husseini, écrivain – Arnaud d’Aunay, peintre – Pierre Avril, universitaire – Vida Azimi, juriste – Isabelle Barbéris, universitaire – Kenza Belliard, formatrice – Georges Bensoussan, historien – Corinne Berron, auteur – Alain Besançon, historien – Fatiha Boudjahlat, essayiste – Michel Bouleau, juriste – Rémi Brague, philosophe – Philippe Braunstein, historien – Stéphane Breton, cinéaste, ethnologue – Claire Brière-Blanchet, reporter, essayiste – Marie-Laure Brossier, élue municipale – Pascal Bruckner, écrivain – Eylem Can, scénariste – Sylvie Catellin, sémiologue – Gérard Chaliand, écrivain – Patrice Champion, ancien conseiller ministériel – Brice Couturier, journaliste – Éric Delbecque, essayiste – Chantal Delsol, philosophe – Vincent Descombes, philosophe – David Duquesne, infirmier libéral – Luc Ferry, philosophe, ancien ministre – Alain Finkielkraut, philosophe, écrivain – Patrice Franceschi, écrivain – Renée Fregosi, philosophe – Christian Frère, professeur – Claudine Gamba-Gontard, professeur – Jacques Gilbert, historien des idées – Gilles-William Goldnadel, avocat – Monique Gosselin-Noat, universitaire – Gabriel Gras, biologiste – Gaël Gratet, professeur – Patrice Gueniffey, historien – Alain Guéry, historien – Éric Guichard, philosophe – Claude Habib, écrivain, professeur – Nathalie Heinich, sociologue – Clarisse Herrenschmidt, linguiste – Philippe d’Iribarne, sociologue – Roland Jaccard, essayiste – Jacques Jedwab, psychanalyste – Catherine Kintzler, philosophe – Bernard Kouchner, médecin, humanitaire, ancien ministre – Bernard de La Villardière, journaliste – Françoise Laborde, journaliste – Alexandra Laignel-Lavastine, essayiste – Dominique Lanza, psychologue clinicienne – Philippe de Lara, philosophe – Josepha Laroche, universitaire – Alain Laurent, essayiste, éditeur – Michel Le Bris, écrivain – Jean-Pierre Le Goff, philosophe – Damien Le Guay, philosophe – Anne-Marie Le Pourhiet, juriste – Barbara Lefebvre, enseignante – Patrick Leroux-Hugon, physicien – Élisabeth Lévy, journaliste – Laurent Loty, historien des idées – Mohamed Louizi, ingénieur, essayiste – Jérôme Maucourant, économiste – Jean-Michel Meurice, peintre, réalisateur – Juliette Minces, sociologue – Marc Nacht, psychanalyste, écrivain – Morgan Navarro, dessinateur – Pierre Nora, historien, éditeur – Robert Pépin, traducteur – Céline Pina, essayiste – Yann Queffelec, écrivain – Jean Queyrat, réalisateur – Philippe Raynaud, professeur de sciences politiques – Robert Redeker, écrivain – Pierre Rigoulot, historien – Ivan Rioufol, journaliste – Philippe San Marco, auteur, essayiste – Boualem Sansal, écrivain – Jean-Marie Schaeffer, philosophe – Martine Segalen, ethnologue – André Senik, enseignant – Patrick Sommier, homme de théâtre – Antoine Spire, vice-président de la LICRA – Wiktor Stoczkowski, anthropologue – Véronique Taquin, professeure, écrivain – Pierre-André Taguieff, politologue – Maxime Tandonnet, auteur – Sylvain Tesson, écrivain – Paul Thibaud, essayiste – Bruno Tinel, économiste – Michèle Tribalat, démographe – Caroline Valentin, essayiste – David Vallat, auteur – Éric Vanzieleghem, documentaliste – Jeannine Verdès-Leroux, historienne – Emmanuel de Waresquiel, historien – Ibn Warraq, écrivain – Yves-Charles Zarka, philosophe – Fawzia Zouari, écrivaine.
Donnez votre avis