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Réformes : Chahed doit y aller avant qu’il ne soit trop tard

En cette période de crise, Youssef Chahed doit faire comme certains chefs de gouvernement qui ont marqué leur prise de pouvoir par des actions spectaculaires ayant rapidement imprimé les changements souhaités.

Par Moncef Kamoun *

La Tunisie vit une situation économique catastrophique, l’heure est très grave et la colère gronde. Les Tunisiens sont perdus face à ces débats politiques creux et stériles, ils ont fini par perdre leurs repères en voyant le pays sombrer dans le doute.

Aujourd’hui, les salaires des mois d’août et de septembre ne sont pas garantis; le dinar tunisien atteint le niveau le plus bas de son histoire; l’endettement du pays plafonne à un taux record de 75% du PIB; les entreprises sont menacées dans leur survie même; bref le pays vit une indécision et un désordre inquiétants et le pire est à venir en l’absence de mesures efficaces mises en œuvre sans délai.

La vérité pour fonder la confiance

Lors de son intervention télévisée du mardi 29 mai 2018, le chef du gouvernement a dit toute la vérité sur son parti, Nidaa Tounes, qui, selon lui, ne ressemble plus à celui auquel il a adhéré en 2013, et sur son directeur exécutif, Hafedh Caïd Essebsi. Il a rappelé aussi que les attaques contre son gouvernement ont commencé le jour même où il a déclaré la guerre à la corruption, en mai 2017. Deux vérités que chacun de nous connaît, mais quand elles sont proclamées par le chef du gouvernement lui-même, elles permettent de fonder de nouveau la confiance.

Mais qu’on soit d’accord sur une chose : un discours bien écrit et dont les termes sont soigneusement pesés par des spécialistes ne suffirait pas pour reconstruire un lien moral usé par les déceptions. La confiance ne peut être regagnée que grâce à une stratégie minutieuse de leadership, mise en œuvre avec une intelligence émotionnelle exceptionnelle, à la fois souple et déterminée face aux résistances les plus têtues.

La confiance du peuple passera obligatoirement par l’identification des plus grands ennemis de notre pays et l’application juste et rigoureuse de la loi, contre et au bénéfice de tous, sans distinction aucune.

Un électrochoc est plus que jamais nécessaire

Monsieur le chef du gouvernement, il faut, en toute urgence, rompre avec les habitudes et le conformisme pour provoquer un choc politique salutaire. C’est donc votre manière même de gouverner, trop lisse et consensuelle, qu’il faut aujourd’hui repenser.

Pour sortir de la crise, il faut mettre en route des réformes majeures et des mesures radicales et immédiates. Il faut ignorer les limites imposées par les convenances, ne pas craindre de déplaire, oser les actions difficiles, de l’audace, toujours de l’audace, encore de l’audace. Il n’y a plus de place à l’hésitation pour soi-disant préserver cette stabilité politique apparente et mensongère.

Dans les moments de crise, il faut faire comme certains présidents et chefs de gouvernement qui ont marqué leur prise de pouvoir par des actions spectaculaires qui ont montré la voie au changement.

Prendre de la graine

Ce fut le cas du président Ronald Reagan, qui marqua son mandat en 1981 de manière théâtrale, en prenant une série de mesures politiques et économiques radicales reposant sur des réductions d’impôts visant à relancer la croissance économique, un contrôle de la monnaie pour réduire l’inflation et une réduction drastique des dépenses publiques.

D’autre part, son investiture a coïncidé avec la crise du syndicat des contrôleurs aériens qui se sont mis en grève, violant ainsi une loi fédérale interdisant la grève aux syndicats gouvernementaux. Pour faire face à la situation, Reagan fit appel à la clause de la situation d’urgence et appela les grévistes à reprendre le travail sous 48 heures, au risque d’être licenciés. Il mit d’ailleurs sa menace à exécution et licencia les 11.345 contrôleurs ayant poursuivi la grève, qu’il fit remplacer par des contrôleurs militaires, qui assurèrent la gestion du trafic de l’aviation civile jusqu’à ce que de nouveaux contrôleurs fussent formés.

Margaret Thatcher, qui devint Premier ministre en Angleterre en mai 1979 dans un contexte marqué par une crise à la fois économique, sociale et politique, a lancé les réformes les plus importantes tout au début de son mandat et commencé par l’assainissement de l’économie et la réduction des dépenses publiques, et donc du déficit et de la dette publics. Reprenant la politique monétaire, elle mit en pratique, dès son investiture, un programme courageux pour freiner le déclin du pays, réduisit le rôle de l’État, tout en renforçant son autorité dans les domaines régaliens. Elle a, par ailleurs, privatisé British Petroleum, British Aerospace, British Sugar, puis British Gas en 1987 et enfin British Airways, le transporteur aérien national, qui de déficitaire devint en quelques années l’une des meilleures et des plus rentables compagnies au monde.

Ruud Lubbers, le plus jeune chef du gouvernement néerlandais, qui avait 43 ans le jour de sa prise de fonction, a procédé d’emblée à de profondes coupes budgétaires, ce qui a permis une spectaculaire réduction du déficit public. Il a aussi privatisé les télécommunications, les postes, les chemins de fer et d’autres entreprises publiques. Les résultats n’ont pas tardé et furent spectaculaires.

Enfin, le meilleur exemple vient de chez nous. Dès le premier jour de son mandat, le 11 avril 1956, le Premier ministre Habib Bourguiba mit en place une campagne de réformes fondamentales visant à moderniser la société. Ces réformes changèrent profondément les mentalités des Tunisiens. Ainsi, le 31 mai 1956, il a fait abolir les privilèges des princes et princesses. Le 13 août de la même année, il définit le régime juridique de
la nationalité et mit en place du code du statut personnel, qui émancipa la femme. Moins d’un mois plus tard, le 6 septembre, il institua l’Ordre de l’Indépendance et le 18 juillet 1957, abolit le régime des habous privés et mixtes représentant plus du tiers des terres cultivables en Tunisie.

Pour pouvoir mettre en route ces réformes profondes, Bourguiba sut s’adresser à la nation dans un discours radiodiffusé, chaque mercredi, où il expliquait l’urgence et l’utilité des réformes entreprises, en argumentant et en tenant l’opinion publique informée des décisions et de l’action du gouvernement.

Bref, ce sont là quelques exemples dont M. Chahed peut s’inspirer pour sortir la Tunisie de la crise et la remettre sur les rails de la prospérité économique et sociale.

*M. K. Architecte.

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