Dans cette «Lettre au président du gouvernement Youssef Chahed», l’auteure, médecin de son état, pose le problème de la pénurie de certains médicaments en Tunisie et pointe les erreurs de communication et l’incompétence du ministre de la Santé Imed Hammami.
Par Dr Lilia Bouguira *
Je ne suis pas une femme de politique mais je suis une femme médecin. Tout dans le pays va de mal en pis et pourtant je ne vous ai pas écrit. Tout dans nos institutions laisse à désirer et pourtant je ne vous ai pas écrit. Pas d’eau en pleine canicule et nous avons supporté. Pas d’eau ce weekend dans l’un de nos hôpitaux et nous avons supporté. Pas de lait pour les enfants en particulier et nous avons supporté. Pas d’hygiène dans nos rues et nos plages et nous avons supporté.
Mais là, depuis plus de deux mois que nous sommes menacés par cette pénurie de médicaments et que nous médecins galérons pour soigner des personnes en bas âge ou des personnes âgées ou encore pire des malades chroniques graves. Ils nous reviennent à chaque fois bredouilles et contrariés avec cette phrase qui tue : «Docteur edwa hedha mafamech» (ce médicament n’existe plus).
Chaque jour, nous tremblons de peur qu’un de nos malades trépasse parce que le médicament en question lui a manqué.
Avec cela, nous avons continué à leur apporter soutien et soins, de les apaiser et de ne pas faire de nos angoisses une crise de panique généralisée. Nous avons alerté nos autorités, l’opinion publique et vous même d’ailleurs par un collègue pour un produit d’anesthésie majeur manquant et non d’«anesthesion» comme a bien voulu rappeler le ministre en question.
Ce dernier passif-agressif a osé narguer tous les Tunisiens mais en particulier nous les médecins praticiens pour nous confondre avec nos malades et nous sortir menteurs et fabulateurs. Puisque le médicament qu’il cherche est ramené dans la minute par son fameux chauffeur comme il a si bien dit sur les ondes d’une radio privée.
Monsieur le président du gouvernement, ce qui a été prononcé est le mot de trop et la goutte de trop qui me fait réagir ainsi que mes collègues. Un tel ministre est indigne d’être à la tête du ministère de la Santé non pas parce qu’il vient d’un parti politique particulier (Ennahdha, Ndlr) mais parce qu’il est incapable de comprendre et réaliser la gravité de ce secteur.
Je vous rappelle votre honneur qu’il n’est pas à sa première crise avec la santé. Par son manque de tact et de compétence, il a paralysé auparavant ce secteur pendant plus de deux mois. Oui deux mois de grève des jeunes médecins à sa solde où nos malades, nos hôpitaux et nos jeunes médecins hautement responsables dans leurs revendications ont pâti. Aujourd’hui encore, il expose son secteur à une lourde peine. Pire, il expose tout un pays à un terrible tribut qui est la maladie et ma foi la mort.
Vous êtes sans ignorer que si l’insuline manque, nos malades diabétiques vont décompenser voire mourir. Or, la Tunisie compte près de 1,7 millions de diabétiques. 17% de la population est diabétique, selon les derniers chiffres de l’Institut de nutrition en 2017 déclarés lors de la Journée internationale du diabète en novembre dernier. Ces chiffres sont alarmants. Nos chiffres sont 2,5 fois plus élevés que la France mais aussi l’Algérie, sachant que le diabète figure parmi les dix premières maladies causant le décès.
L’insuline manque et le ministre qui semble ne rien connaître à la santé nargue tout un peuple et à sa tête les soignants. Il ose se moquer de nos malheurs.
L’exemple du diabète pathologie menacée n’est pas le seul. Les pathologies cardiaques, les cancers, les interventions mais aussi les pathologies neurologiques et psychiatriques dont certains produits commencent aussi à manquer tel que le Gardénal. Nous comptons près de 40.000 personnes atteintes d’épilepsie en Tunisie.
Devant tous ces chiffres et bien d’autres de pathologies qui engageraient le pronostic vital du patient par leurs complications ou décompensations, je ne peux me permettre de considérer avec légèreté les réparties combien frivoles de ce ministre dangereux. En effet, dangereux car il ne mesure point l’ampleur des dégâts et met en danger la vie des citoyens malades
Le commun des citoyens n’a pas son luxe payé au frais du contribuable d’avoir un chauffeur comme il ose se vanter.
Deuxièmement, on ne badine pas avec la maladie et la mort. C’est du pur sacrilège. Troisièmement, soit ce ministre n’est pas conscient de ses propos soit, au contraire, il les calcule bien vu ses antécédents avec la santé et ses médecins.
Il semble par conséquent avoir une dent contre la santé du tunisien pour tenter de castrer ce secteur et détruire le malade et faire rompre définitivement la relation malade-médecin. Ce dernier n’étant pas capable de soigner faute de médicaments.
Ce ministre si l’on comprend bien n’a cure de toute cette gravité. Il condamne beaucoup dans ce pays à la mort parce qu’ils sont vulnérables ou handicapés. Le diable ne saurait mieux faire.
Monsieur le président du gouvernement, je vous écris non pour vous confondre et vous mettre dans un malaise dont vous peinez à sortir depuis un bon moment. Je vous écris pour vous mettre devant votre responsabilité de président du gouvernement qui a placé ce ministre de le mettre face à ces griefs et de le destituer illico.
Je fais appel à vous parce que vous êtes le politicien et que je suis seulement le médecin.
* Médecin.
Donnez votre avis