Sous le titre «La manœuvre béjiste déstabilisera-t-elle Ennahdha?», le juriste et éditorialiste Chedly Mamoghli est revenu, aujourd’hui, dimanche 12 août 2018, dans une analyse politique sur le ressort et les enjeux de la Colibe sur le parti islamiste, que nous reproduisons ci-dessous à partir de sa page Facebook.
En annonçant le 13 août dernier son intention d’instaurer l’égalité en matière d’héritage entre les hommes et les femmes, Béji Caïd Essebsi a frappé un gros coup. Elle fut interprétée comme une volonté de BCE de s’inscrire dans la lignée de Bourguiba, je ne pense pas que ce soit comme tel, je pense plutôt que c’est une manœuvre politique.
Cette annonce, qui a fait l’effet d’une bombe dans tous les milieux, a embarrassé Ennahdha, les islamistes ne s’attendaient pas à un tel coup de la part de leur allié depuis 2015. Ils se sont défaussés. Ils ne voulaient pas donner une réponse claire puis d’autres sujets ont pris le dessus et ont accaparé le débat public.
Toutefois l’idée de BCE ne s’est pas arrêtée le 13 août 2017, la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe) fut constituée, accomplit un travail sérieux et finit par rendre son rapport qui préconise un certain nombre de propositions dont la dépénalisation de l’homosexualité et l’égalité en matière d’héritage, deux lignes rouges pour les islamistes. Aujourd’hui, cette question est devenue une question sociétale et accapare le débat. Ennahdha ne peut plus entretenir le mystère éternellement et se défausser ad vitam aeternam. Le parti islamiste va devoir se prononcer officiellement sur cette question et trancher. Mais cette manœuvre met les islamistes dans une situation tellement embarrassante, ils font face à un dilemme risqué et lourd en conséquences dans, au moins, deux cas.
S’ils soutiennent les propositions de la Colibe et se prononcent pour l’égalité en matière d’héritage et la dépénalisation de l’homosexualité, ils cesseront d’être un parti islamiste. Leurs bases vont se révolter, Ghannouchi sera Judas et ils se verront déposséder de leur fonds de commerce historique (à savoir la religion) et ils n’auront plus aucune raison d’être.
S’ils se prononcent contre les propositions de la Colibe et se prononcent contre l’égalité en matière d’héritage et contre la dépénalisation de l’homosexualité, toute leur stratégie de dédiabolisation, de leur prétendue métamorphose en parti démocratique et moderne, de drague des Occidentaux qui leur a coûté les yeux de la tête tombera à l’eau.
Les Ellouze et les Chourou qu’ils ont éloigné et qu’ils cachent sous le tapis, Ghannouchi le cravaté, les visites à Davos, les instructions pour désormais appeler Ghannouchi «ostedh» (professeur) en lieu et place de «cheikh», les instructions de ne plus dire «parti islamiste» mais «démocrate musulman», tout cela tombera à l’eau.
Ennadha est embarrassé et se trouve déstabilisé par le choix qu’il devra faire et quel que soit le choix qui sera fait, il y aura un prix à payer. La balle est dans leur camp. BCE ne doit pas rétropédaler et doit laisser la balle dans leur camp.
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