La municipalité de Sousse est dans l’incapacité de faire appliquer une décision de suspension des travaux d’un chantier qu’elle a elle-même prise.
Par Abdelmajid Mselmi *
Ce qui se passe au quartier de Khézama, dans la ville de Sousse, ressemble plus à un feuilleton de comédie noire.
Alertés depuis le 6 juillet 2018, par les habitants du quartier sur l’existence de dépassements graves dans la construction d’un bâtiment destiné, selon l’autorisation de bâtir, à accueillir des activités de loisirs, les autorités municipales ont pris tout leur temps pour constater les irrégularités, malgré la pression des habitants, alors que les propriétaires engageaient une course contre la montre pour terminer les travaux.
Finalement, le 9 août, le maire de Sousse a pris la décision de suspendre les travaux dans le chantier énumérant dans son rapport les multiples irrégularités dans la construction
Un jeu de cache-cache
Une fois la décision prise, on a assisté, nous les habitants du quartier, à un jeu de cache-cache lamentable entre les services municipaux et les propriétaires. Une dizaine de fois, les agents de la police municipale se sont déplacés au chantier pour dissuader les propriétaires et ont même confisqué du matériel. Mais en vain! Dès que les agents quittent les lieux, les travaux reprennent avec un rythme effréné. À tel point que les habitants ont douté que certains agents les encouragent au lieu de les dissuader.
Un cadre municipal, qui s’est déplacé sur les lieux pour sommer les propriétaires de se conformer à la décision du maire, a été agressé verbalement. Quatre conseillers municipaux fraîchement élus et enthousiastes se sont déplacés sur les lieux et ont mobilisé la police municipale. Malgré toutes ces actions, les travaux ont continué jusqu’à aujourd’hui, le matin, le soir, la nuit, les jours fériés et même pendant la fête de l’Aïd El-Kebir, défiant la décision du maire et bafouant la loi sous le regard résigné des habitants.
La technique des «hors la loi» en la matière est connue : terminer la construction et mettre tout le monde devant le fait accompli, sachant que la décision de détruire des parties de la bâtisse est souvent difficile à prendre et à exécuter.
Rappelons que les propriétaires sont des récidivistes. Au mois de janvier 2018, les habitants ont constaté des irrégularités dans cette même bâtisse et ont sommé les autorités municipales de dissuader les propriétaires. Les responsables ont traîné la patte.
Un dimanche le 28 janvier, les propriétaires ont pris à court tout le monde et ont commencé à couler le béton dès le petit matin. Grâce à la mobilisation des citoyens, le chef de la délégation spéciale de Sousse à l’époque s’est déplacé avec son staff au chantier et ordonné l’arrêt des travaux et fait confisquer le matériel.
Les habitants attendent toujours un sursaut d’honneur de la part de Taoufik Laaribi, le maire de Sousse élu, égalant au moins son prédécesseur pour sommer les propriétaires de se conformer à la décision de la municipalité et de respecter la loi.
Projet occulte : construction d’une école privée anarchique
L’objectif des propriétaires n’est plus caché : transformer ce complexe de loisirs comme l’atteste l’autorisation de bâtir (jugé peu rentable) en une école privée anarchique plus lucrative au centre d’un quartier résidentiel.
Le terrain sujet du conflit fait partie du lotissement «Imen» de Khezama-Ouest qui obéit au plan d’aménagement (décret 3173 du 6 octobre 2008) et au cahier de charge validé par le conseil municipal de Sousse, le 8 avril 2008.
Le terrain est classé nature équipé et destiné à accueillir des activités de loisir et la surface bâtie ne peut pas dépasser 33%, le reste est destiné à un espace vert.
Soixante habitants ont signé une pétition adressée aux autorités compétentes dans laquelle ils refusent de transformer le centre de loisirs en école privée au cœur de leur quartier et expriment leur attachement avec fermeté au plan d’aménagement et au cahier des charges du lotissement.
L’ordre d’arrêt des travaux non exécuté.
Des tigres en papier ?
Les constructions irrégulières et anarchiques constituent un phénomène très grave qui menace les villes tunisiennes et qui s’est accentué de façon importante après la révolution.
Les décisions de suspension des travaux et de destruction des constructions irrégulières sont par centaines mais le taux d’exécution est très faible pour de multiples raisons. Sans parler des constructions irrégulières non déclarées par défaut de plainte par indifférence par peur ou même à cause de la corruption. Il faut vraiment être persévérant et tenace pour faire bouger l’administration tunisienne, lente, lourde et indifférente.
L’élection des nouveaux conseils municipaux a suscité beaucoup d’espoir chez les citoyens qui ont espéré un changement réel grâce au développement de la gouvernance locale et aux prérogatives devenues larges des conseils municipaux. Mais ces conseils souffrent de 2 handicaps majeurs. D’une part la police municipale n’est plus sous l’autorité des maires depuis 2012 et se trouvent amputés de leur bras exécutif. La police environnementale sous l’autorité du maire a un effectif limité et des prérogatives réduites.
Ainsi, il nous paraît urgent que la police municipale soit replacé sous l’autorité des maires.
D’autre part les procédures actuelles du code de l’urbanisme longues et peu dissuasives limitent la marge de manœuvre des maires et leur lient les mains. Des amendements de ces procédures sont nécessaires de façon urgente pour permettre aux maires de sévir et d’exercer leur autorité pour faire face aux constructions et irrégulières à l’étalage anarchique et l’occupation des trottoirs.
Malheureusement, Riadh Mouakher, ministre des Affaires locales et de l’Environnement et son secrétaire d’Etat n’ont rien fait pour doter les conseils municipaux de procédures fortes et de véritables griffes pour appliquer la loi et dissuader les hors la loi.
La hantise c’est que les maires peuvent se transformer petit à petit en gestionnaires de petits budgets de misère sans aucune force dissuasive sur l’anarchie. Dans ce cas, la gouvernance locale ne sera qu’un grand mensonge et les maires ne seront que des tigres en papier.
* Habitant de Khezama, Sousse.
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