Des Américains manifestent contre l’Arabie saoudite devant la Maison blanche.
Après plus de deux semaines de déni, les autorités de l’Arabie saoudite viennent de reconnaître la «mort accidentelle» (sic !) du journaliste Jamal Khashoggi, au consulat saoudien d’Istanbul, et de dévoiler, par la même occasion, le vrai visage de son prince héritier, Mohammed Ben Salman, un atroce dictateur sanguinaire.
Par Slaheddine Dchicha *
On a beau se payer les plus chers communicants, s’entourer des meilleurs spin doctors, on ne peut empêcher la vérité d’émerger un jour ou l’autre!
Pendant trois longues années, depuis son putsch déguisé en aggiornamento, les plus onéreuses boîtes de communication américaines et françaises n’ont pas arrêté de «dorer l’image» du prince héritier de l’Arabie Saoudite, Mohammed Ben Salman dont l’acronyme MBS fait partie de la stratégie de communication et de marketing. En effet, pour le vendre, il a fallu en faire un produit reconnaissable entre tous par sa marque et son logo : MBS, sans points SVP !
Le mythe et la réalité
Au Royaume devenu merveilleux de MBS, les femmes peuvent désormais conduire et les Saoudiens peuvent désormais se distraire à en mourir en fréquentant les cinémas et les salles de concert… Par ailleurs, il est en train de préparer l’après-pétrole; il lutte contre la corruption; il est jeune; il est moderne; il est modéré; il est libéral; il… N’en jetez plus ! Et le storytelling de n’éviter aucune répétition et de ne reculer devant aucune exagération.
Et il ne recule devant aucune occultation non plus, en interposant un écran de fumée entre l’image photoshopée du Royaume et sa cruelle réalité : les arrestations arbitraires et la répression de toute voix dissidente, celle des femmes, des oulémas, des poètes… n’existent pas; n’existe pas non plus la guerre criminelle menée sans merci au Yémen contre les Houthis et qui tue par milliers et affame par millions vieillards, femmes et enfants… Oubliées, la mise au ban du Qatar, l’alliance avec Israël, la haine obsessionnelle des Chiites et des Iraniens en particulier et oubliés enfin l’implication de l’Arabie dans le terrorisme international, son soutien passé aux islamistes politiques et le rôle du wahhabisme dans la diffusion d’un islam rétrograde…
Le crime de trop
Forfaits sous le tapis, complaisance voire complicité des puissants et des moins puissants, tout allait merveilleusement bien dans le merveilleux royaume du merveilleux MBS… jusqu’à l’assassinat de Jamal Khashoggi. On le sait, les serial-killer se font coincer grâce à un infime détail et les parrains se font arrêter pour une vétille…
Monsieur Jamal Khashoggi était un homme du sérail, familier de la cour et des familles régnantes, il était lié au pouvoir et à ses services de renseignement et alors qu’il avait soutenu les premières initiatives de MBS, son seul tort a été d’émettre de timides réserves vis-à-vis de la gouvernance du Prince héritier. Il lui reprochait son impatience et son impulsivité. Mal lui en a pris, le nouveau maître de l’Arabie ne tolère aucune critique, aussi infime soit-elle, afin de prévenir toute opposition et toute velléité de contestation. Caractéristique facilement reconnaissable d’un dictateur !
Realpolitik et éthique
Entré le 2 octobre 2018 dans le consulat saoudien d’Istanbul, le pauvre Jamal Khashoggi n’en est jamais sorti, contrairement aux dénégations du pouvoir saoudien qui, après plus de deux semaines de déni, vient de reconnaître la mort accidentelle du journaliste «suite à une rixe à coups de poing», sans doute conseillé par les officines de communication chèrement payées.
Soucieux de garder de bonnes relations avec les Saoudiens à cause du contrat de 110 milliards de dollars d’armement, Trump a donné sa bénédiction à cette invraisemblable et ridicule explication.
Quant à la France, le troisième exportateur mondial d’armes, elle a demandé à l’Arabie Saoudite, son deuxième client en achat d’armes, une «enquête exhaustive et diligente» sur la mort du journaliste Jamal Khashoggi. Ça ne mange pas de pain et ça épargne à la realpolitik de s’encombrer de questions éthiques.
Et les pays arabes, me diriez-vous ? Leur silence est assourdissant.
* Universitaire.
Disparu le 2 octobre 2018 à Istanbul : Qui est Jamal Khashoggi?
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