Palais du gouvernement à la Kasbah, Tunis.
Les forces vives honnêtes et intègres au sein des partis, des syndicats et de la société civile sont appelées à œuvrer pour la sauvegarde de l’indépendance de l’administration tunisienne (des partis et des syndicats) et de l’intégrité de ses cadres.
Par Salah Darghouth *
Si notre pays a pu réaliser les avancées économiques et sociales que l’on connaît, malgré les abus notoires du régime de Ben Ali, c’est en grande partie grâce aux compétences, à l’intégrité et à l’impartialité des cadres de la nation qui ont su ne pas se compromettre ni de céder aux pressions du pouvoir.
C’est grâce à ces cadres que les rouages de l’État ont pu garder le cap et résister aux crises économiques et sociales les plus les plus aiguës que notre pays a connu depuis l’Indépendance.
Par cadres, je me réfère ici à la communauté des responsables de la fonction publique qui assument des tâches de direction dans les domaines de développement techniques, économiques, sociaux et culturels du pays.
Je parle de celles et de ceux en position de responsabilité au sein de l’administration publique, qui essayent d’accomplir leurs tâches de façon professionnelle et impartiale, en dehors de toute influence politique.
Je parle de celles et ceux :
• qui mettent le savoir acquis et l’expérience accumulée au service du développement général du pays et du bien-être de sa population;
• qui ont la capacité de constituer, diriger, gérer et motiver des équipes entières en mesure d’identifier et analyser les problèmes, d’intégrer les leçons apprises, d’avancer des idées, d’innover, de formuler des stratégies, de comparer des alternatives, d’aider à la définition des priorités et au choix des orientations, et de recommander honnêtement les meilleures solutions pour la prise de décision politique ;
• qui aident à traduire de telles décisions en programmes d’actions et projets; et
• qui s’assurent de la bonne exécution de ces projets et de leur concrétisation en résultats tangibles et palpables auprès des populations concernées.
L’administration se désagrège sous le poids des magouilles
Sans les citer nommément, c’est quand des cadres compétents, dévoués et intègres étaient en nombre suffisant et restés suffisamment longtemps à leur poste au sein des ministères du Plan, des Finances et de l’Economie et de la Banque Centrale que le pays a réussi à maintenir sa stabilité macro-économique et assurer une croissance honorable tout en menant les difficiles programmes d’ajustement qui s’imposaient.
Plus récemment encore et depuis la révolution de Janvier-2011, c’est grâce aux hautes compétences et à l’impartialité des cadres de notre armée nationale que la Tunisie n’a pas sombré dans la violence quand les crises politiques ont atteint leur paroxysme.
Malheureusement, les fondations de notre administration commencent à se désagréger sous le poids des magouilles politiciennes et pseudo-syndicales.
Tout a commencé par la vague massive des recrutements abusifs imposés par certains gouvernants de la «Troïka», la coalition conduite par le parti Ennahdha entre janvier 2012 et janvier 2014, et le parachutage d’un grand nombre de ses sympathisants à des postes de responsabilité pour lesquels ils étaient inaptes. J’ai eu personnellement affaire en 2014 à certains de ces malheureux cadres qui étaient déjà en place à l’avènement du «Gouvernement Technocrate».
La politisation croissante de l’administration
Depuis, on assiste à une politisation croissante de l’administration sous le poids de certains responsables politiques et syndicaux qui abusent de leurs prérogatives pour dicter non seulement la nomination de ministres mais aussi la désignation de cadres qui leurs sont proches ou la destitution de ceux qu’ils jugent mal placés pour défendre leurs intérêts.
Ces agissements viennent alourdir les problèmes déjà sérieux de notre administration : sureffectifs, baisse de la productivité, relâchement de la discipline, absence d’esprit d’équipe et travail en «silos fermés», déliquescence du sens de l’autorité, blocage des systèmes de contrôle, etc. S’ajoutent à cela la prolifération des revendications justifiées et non justifiées exacerbées par des promesses politiques populistes non tenues des gouvernements successifs et des partis au pouvoir.
Pire encore, la situation ne fait que s’aggraver en raison de la courte durée de vie des gouvernements successifs, de la prolifération du nombre des ministères et de l’incompétence et le manque d’expérience flagrant de certains ministres. La confusion institutionnelle se propage : conflit d’attributions, dilution des responsabilités, lourdeur de prise de décision, complication de la coordination des interventions entre ministères, etc.
Découragés, certains de nos cadres commencent à opter la tactique du désengagement ou même du laisser-faire. Désabusés, certains de nos meilleurs cadres commencent à déserter l’administration et les plus brillants de nos jeunes diplômés s’en détournent préférant le secteur privé ou l’émigration.
Il va de soit que c’est toute la gouvernance de notre administration qui a besoin d’être réformée en profondeur. Toutefois, pour commencer, les forces vives honnêtes et intègres au sein des partis, des syndicats et de la société civile sont appelées à œuvrer pour la sauvegarde de l’indépendance de notre administration et de l’intégrité de ses cadres.
*Ex-cadre à la Banque Mondiale.
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