Deux films sont sortis simultanément dans les salles de cinéma tunisiennes ces derniers temps, ayant des choix esthétiques presque opposés, une vision divergente de la réalité, du moins en apparence, mais une même thématique : la paternité défaillante.
Par Kahena Abbes *
Les deux films en question sont ‘‘Regarde-moi’’ de Néjib Belkhadhi et ‘‘Mon cher enfant’’ de Mohamed Ben Attia, traitant, respectivement, de l’autisme et du terrorisme.
Abstraction faite de la perspective esthétique et artistique des deux thèmes, un thème commun les lie : une paternité défaillante, celle qui a perdu son autorité, ainsi que tout contrôle sur le comportement de sa propre progéniture.
La figure du père dans une société en transformation
Le père est une figure essentielle, voire même centrale dans les deux films, l’enjeu est celui de sauvegarder son pouvoir, donc sa continuité dans une société en pleine transformation.
Qu’il s’agisse de l’autisme ou du terrorisme, la problématique reste la même, celle de la communication, même si son traitement acquiert des formes diverses : agitation dans le thème de l’autisme, silence et souffrance dissimulés dans celui du terrorisme.
Pourtant, dans les deux cas, l’essentiel n’est pas exprimé, le non-dit s’introduit, devient envahisseur, puisqu’il est porteur d’une mutation socio -politique incompatible aussi bien avec l’échelle des valeurs de la société actuelle, qu’avec son système.
La mère dans ‘‘Regarde-moi’’ est agonisante, ne survivra pas, finit par décéder au cours des événements. Elle aura, par contre, un rôle aussi bien affectif qu’éducatif de second rôle dans ‘‘Mon cher enfant’’, car c’est au père qu’incombe la mission d’apprendre à l’enfant de se lier au monde et d’exister.
La contestation de l’autorité parentale
Dans les deux films, il y a une rupture quasi totale, pas uniquement au niveau de la communication entre le père et le fils, mais dans leurs manières de voir le monde et de l’aborder.
Il s’agit donc d’une paternité qui a échoué à transmettre aux générations qui lui succèdent un espoir, une vie sans souffrance. Mais la paternité n’est pas uniquement une présence concrète et physique fondée sur le lien biologique; elle est porteuse aussi d’une dimension symbolique, à savoir qu’elle est représentative de la loi, c’est dans ce sens que le lien entre les deux films a été établi, à travers la contestation de cette autorité parentale.
Bien qu’elle ne fût ni dépourvue d’affectivité ni d’attention, celle-ci n’a pas pu accomplir sa mission essentielle à savoir : permettre aux fils de résoudre leurs problèmes existentiels, qui consistent ou bien à renouer avec le monde extérieur (dans le thème de l’autisme), ou bien à se réaliser (dans le thème du terrorisme); car elle était incapable d’inventer d’autres formes de communication, d’être créative, voire même subversive, dans un monde de moins en moins sûr.
Ceci dit, dans ‘‘Regarde-moi’’, l’amélioration de l’état psychique de l’enfant Youssef reste envisageable, en dépit de l’impossibilité d’une guérison complète. Dans ‘‘Mon cher enfant’’, le jeune Sami exécute un attentat terroriste et finit par mourir, ce qui signifie qu’il n’y a point de remède à l’extrémisme religieux, car au-delà de la rupture relationnelle qu’il a engendré entre père et fils, il fut le produit de toute une conjoncture politique, sociale, économique et culturelle. Aussi, pour l’éradiquer, la solution ne saurait être individuelle, le salut étant collectif.
Instaurer un nouvel ordre ou légitimer l’existant
Les questions posées dans les deux films sont les suivantes : Quel avenir sommes-nous en train de préparer à nos enfants ? Quel est le rapport que nous entretenons avec la réalité? Quelles sont les raisons profondes de cette contestation de l’autorité paternelle ? Est-ce dans le but de tuer le père, du moins symboliquement, afin d’instaurer un nouvel ordre, ou pour donner à cette paternité défaillante une nouvelle légitimité?
Il n’y a que l’art qui puisse ouvrir la voie à de telles questions et à une telle réflexion.
* Avocate et écrivaine.
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