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La France des insoumis ou l’échec de la démocratie représentative

© « Sud-Ouest ».

Et si la démocratie représentative était le plus habile des canulars de tous les temps? Et si elle était en réalité une particratie, qui met le pouvoir entre les mains d’une grappe d’hommes politiques poussés par par un impérieux besoin de domination?

Par Ezzeddine Kaboudi *

Dans la gouvernance démocratique, le peuple peut-il rester toujours seul maître et seul détenteur de la souveraineté et de l’autorité, ou bien doit-il vivre continuellement dans l’angoisse de devoir endurer ses mauvais choix ? Le peuple, peut-il revenir sur ses décisions et le cas échéant révoquer ceux qui le gouvernent ? La légitimité de la rue prévaut-elle sur celle de l’urne ?

La situation en France soulève un problème bien complexe : c’est celui, cette fois, du manquement aux engagements et à la parole donnée par un élu du peuple.

Par manquement aux engagements et à la parole donnée, nous signifions l’inquiétude qui résulte du non-respect des promesses ou des serments donnés par une personne. Un tel engagement de la parole donnée est souvent appelé par les économistes une relation d’agence. On retrouve généralement cette inquiétude dans tous les engagements qui lient les différentes parties prenantes lors de l’exercice d’une responsabilité.

La souveraineté du peuple confisquée par ses élus

En fait, la quête de la bonne gouvernance en matière de relation citoyens-élus du peuple soulève une difficulté particulière. En effet, de par sa nature, cette relation d’agence pose problème dans la mesure où les intérêts personnels des élus du peuple et des citoyens sont divergents. Cette situation particulière est désignée par risque moral et se manifeste par le manquement d’un partenaire opportuniste à ses engagements contractuels, obligeant les autres partenaires en place à des nouvelles négociations.

D’où, toute la problématique que l’on peut évoquer, d’une manière un peu triviale, à partir de l’interrogation suivante : comment se prémunir contre l’opportunisme d’un responsable élu et contre son incapacité et son incompétence à gouverner ? Comment établir des accords qui fixent les mécanismes de fonctionnement des institutions de l’État de façon à éviter que les intérêts personnels des responsables mandatés ne prennent le pas sur ceux de leurs mandants les citoyens, et cela, dans un esprit d’intérêt commun ?

Plus communément, dans le cas particulier de la gouvernance démocratique, le peuple peut-il rester toujours seul maître et seul détenteur de la souveraineté et de l’autorité, ou bien doit-il vivre continuellement dans l’angoisse de devoir endurer ses mauvais choix ? Le peuple, peut-il revenir sur ses décisions et le cas échéant révoquer ceux qui le gouvernent ? Enfin, en nous référant aux événements qui marquent la France, la légitimité de la rue prévaut-elle sur celle de l’urne ?

La France de la démesure

On n’a cessé de nous répéter à longueur des journées, que la France, c’est le pays de la liberté, de l’égalité et de la justice et que la haine, l’anarchie et l’iniquité sont le propre des pays sous-développés. Mais là, on ne s’y retrouve plus !

Ce que nous observons c’est qu’en France :

– les manifestations sont bel et bien muselées par un dispositif policier considérable, qui utilise des méthodes pour le moins musclées;

– l’égalité sociale est un droit fondamental, sauf qu’en réalité, les écarts de niveau de vie sont énormes;

– la justice est l’affaire d’un État équitable, mais on a de la peine à le croire, lorsqu’on compare ce qui attend l’intrépide boxeur avec la sentence écopée par ce commandant de police filmé entrain de molester deux manifestants. Pourtant, les faits sont les mêmes.

Décidément, c’est la politique des deux poids et deux mesures.

Ce que reprochent les Français à leur gouvernement

Ce qu’ils reprochent, c’est l’arrogance, la haine et le dédain des problèmes des Français. Il semble que les plus démunis soient carrément oubliés par ce gouvernement qui vit à l’écart de la réalité de ses citoyens, qui affiche peu de compassions et qui déploie peu d’efforts concrets pour faire ce qu’il faut.
Ce qu’ils reprochent, c’est cette immense manipulation bien orchestrée et relayée par les médias, qui vise à discréditer ces citoyens poussés par le seul souci d’améliorer le quotidien.

Ce qu’ils reprochent, c’est que le Président, le gouvernant et les élus ne les écoutent plus du tout, et que de jour en jour la fracture s’accentue.

Ce qu’ils reprochent, ce sont les mensonges du gouvernement, celui de faire une tournée des maires pour s’enquérir de la situation des Français et celui aussi d’appeler à un grand débat public. Pourtant, pour connaître les doléances des Français, rien de plus simple, elles sont placardées ici et là, partout où les gilets jaunes font du sitting. D’ailleurs, elles sont claires et se cristallisent sur l’indexation des pensions de retraite à l’inflation, sur le rétablissement de l’impôt sur la fortune (ISF) dans sa version antérieure, et puis sur le fameux référendum d’initiative citoyenne (RIC).

Ce dernier point des revendications, le RIC, se conçoit selon les gilets jaunes en quatre éléments. Il est législatif, abrogatoire, constituant et révocatoire, c’est-à-dire qu’il permet de proposer une loi, d’abroger une loi, de modifier la Constitution et surtout de révoquer un élu. Ce qui explique son caractère ombrageux pour le gouvernement.

En fait ce que les Français réclament c’est un gouvernement humain, humble, qui entend raison, qui ouvre les bras aux Français, proche des citoyens, soucieux du bien-être de ses mandants et qui prend des décisions.

Pourtant, le couple présidentiel était bien parti. Il était apprécié en raison de sa simplicité déconcertante, de son apparence simple, de sa manière de vivre et d’aimer, et de la confiance qu’il dégage. Aujourd’hui, nous en sommes très loin de tout cela. Il suffit de voir le faste dans lequel vit le couple présidentiel et son entourage ainsi que les dépenses ostentatoires qui dénotent un train de vie de véritable nabab.

Aujourd’hui, la déception et la frustration sont au plus haut niveau et les Français sont perplexes, quant au devenir de leur pays, notamment au regard des tiraillements politiques, de la situation économique difficile, de la tension sociale et des défis sécuritaires.

Alors, où se situe le vrai problème ?

Un problème de démocratie

Depuis toujours, les hommes croient que la démocratie est la meilleure façon de gouverner pour le bien de l’humanité, et certains restent fermement convaincus que ce mode de fonctionnement de la société est la solution au développement. Une question reste toutefois en suspens : de quelle démocratie s’agit-il ? De la démocratie directe ou de la démocratie représentative ?

Sans entrer dans des discussions de doctrines, la démocratie directe se perçoit, tout simplement comme le pouvoir de la population, et selon la célèbre formule d’Abraham Lincoln, comme la gouvernance du peuple par le peuple et pour le peuple. Selon cette perspective, les démocraties réelles reposent sur la conception d’un pouvoir politique qui émane d’un peuple souverain constitué de citoyens actifs.

Toutefois, ne confondons pas la démocratie telle que nous l’imaginons et le fonctionnement des régimes dits démocratiques tels que nous les vivons. C’est un fait, il y a un écart énorme entre ce que la démocratie directe apporte à la société et ce qui se passe réellement.

En effet, dans le contexte actuel de surnombre et de communication partielle et restreinte, l’exercice direct de ce pouvoir universel pose des contraintes de moyens logistiques insolubles. Et c’est pour palier à ces lacunes, que l’on s’est enlisé dans la démocratie dite représentative, laissant croire au citoyen qu’il est possible d’exercer le pouvoir par délégation ou par procuration. Ainsi, dans la démocratie représentative le Peuple n’a droit qu’aux votes, qui lui laissent le choix entre des promesses électorales arborées par quelques partis politiques. Quel que soit le résultat du scrutin, le citoyen est exclu de la vie politique et le pouvoir est délégué à un ou plusieurs partis. Le rôle du Peuple se réduit, ainsi, à celui d’arbitre dans la course au pouvoir disputée entre politiciens professionnels aigris.

Il n’est pas nécessaire d’être fin observateur pour se rendre compte que le problème en France est dans l’exercice de la démocratie représentative elle-même et dans la scission et la discorde qu’elle entraîne au sein de la population. En renvoyant dos à dos les citoyens, comme autant d’ennemis irréductibles, elle crée un climat social dans lequel les fossés ou les clivages se creusent et la solidarité s’affaiblit.

Cette démocratie représentative est une sorte d’arène fermée où l’on s’affronte pour la quête du pouvoir. C’est la tarte aux pommes à partager et l’on voit les oiseaux de mauvais augure qui rôdent autour de la table.

En fait, la représentativité opère une sélection bien contrefaite mettant au-devant de la scène les individus les plus débrouillards, les plus futés. Ce sont toujours les mêmes qui se partagent le gâteau. Ce sont les mêmes qui abusent de la crédulité du peuple, en promettant monts et merveilles à coup de beaux discours.

En somme, la démocratie représentative, c’est le plus habile des canulars de tous les temps. Notre ainsi dite démocratie représentative n’est pas une démocratie du tout. Elle est, en réalité une Particratie, qui met le pouvoir entre les mains d’une grappe d’hommes politiques désabusés, poussés par l’instinct de cupidité et par un impérieux besoin de s’accaparer le pouvoir.

Ce type de gouvernance mène à la médiocrité et met au-devant de la scène des gens qui sont en réalité opportunistes, ambitieux, et manipulateurs. Ils oublient très vite ce pourquoi les électeurs ont voté, ainsi que les raisons qui ont poussés le peuple à choisir de les hisser à la plus haute marche du pays.
Finalement, on usurpe, de la sorte, au peuple son droit à la démocratie et au lieu de protéger sa souveraineté, on la spolie ouvertement et légalement au vu et au su de tous.

Comment s’en sortir ?

Ce qui a mené les Français à la colère et à l’escalade, c’est ce sentiment illusoire d’immunité qu’affichent les élus du peuple. Ils se sentent intouchables, indétrônables et irrévocables. Ils éprouvent une sorte d’aura qui les laisse croire qu’ils sont presque invincibles. D’avoir toujours raison, et du coup ils se croient tout permis.

Les conseillers, bien évidemment, y sont pour beaucoup, tout autant que la façon dont se prend leur entourage pour flatter leurs egos.

Pourtant, absolument rien, ne laisse présumer que tout ou presque est permis à un élu du peuple. Il doit toujours rendre des comptes au peuple et ne peut agir en toute impunité.

Lorsque Abou Bakr As-Siddiq fut élu premier khalife à la tête de la communauté, il fit à cette occasion le discours suivant : «Ô peuple ! J’ai été investi de la charge de la communauté, bien que je ne sois pas le meilleur d’entre vous. Si j’agis bien, aidez-moi, mais si je dévie du droit chemin, corrigez-moi ! Le plus faible d’entre vous sera considéré comme puissant par moi, jusqu’à ce que je lui obtienne son droit, et le puissant d’entre vous sera considéré comme faible par moi, jusqu’à ce que je lui arrache le droit qu’il a pris aux autres, et ce, par la volonté de ‘Dieu ! Obéissez-moi tant que j’obéis à ‘Dieu et à son prophète, mais si je désobéis à ‘Dieu et à son prophète, ne m’obéissez pas».

Somme toute, dans un bras de fer qui engage le peuple avec ses dirigeants, seul le gouvernement est perdant, son image en sort particulièrement écornée. Le peuple n’a plus rien à perdre et il a tout à gagner.

Dans la situation actuelle de la France, on a l’impression de se trouver devant deux marins qui font contrepoids de chaque côté d’une barque pour la maintenir en équilibre. Plus l’un se penche plus l’autre est obligé de se pencher dans le sens contraire pour compenser l’instabilité que le premier a provoqué. Le bateau lui-même serait tout à fait en équilibre sans leurs efforts acrobatiques.

Le gouvernement français peut, donc, renverser la tendance et en sortir gagnant et glorifié. Il suffit qu’au lieu de se pencher vers le sens contraire qu’il fasse l’inverse et qu’il aille vers les Français qui attendent de vrais décisions pour relancer le pouvoir d’achat, relancer les salaires, contrôler l’immigration et assurer la sécurité.

D’autres décisions doivent, toutefois, être prises pour améliorer l’image qui colle à Emmanuel Macron, celle de «Président des riches». Nous pensons par exemple, à l’amnistie de tous les manifestants traduits devant les tribunaux, à la prohibition de l’emploi du gaz lacrymogène et des canons à eau, à la baisse des salaires des fonctionnaires les mieux rémunérés. Le président devra éventuellement donner lui-même l’exemple, etc.

Enfin, ce gouvernement ne doit pas oublier que c’est lorsqu’on est méprisant arrogant que le désordre arrive.

NB – Par cet article je m’adresse bien évidemment aux Tunisiens et non aux Français. La Tunisie risque peut-être de connaître la même situation.

* Universitaire.

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