En dépit de la «froideur» actuelle entre la Russie et Israël, notamment depuis l’épisode du crash de l’Il-20 (1) et à la décision du Kremlin qui s’ensuivit, en septembre dernier, de livrer à la Syrie des missiles sol-air S300 (livraison jusqu’ici maintes fois ajournée à la demande de l’Etat hébreu), les bonnes relations russo-israéliennes vont certainement, à terme, revenir à la normale. Voici pourquoi.
Par Roland Lombardi *
À partir de septembre 2015 et le début de l’intervention russe en Syrie (afin de soutenir Assad), les généraux israéliens et russes se consultèrent régulièrement voire quasi quotidiennement. Israéliens et Russes avaient même mis en place un mécanisme de «déconfliction» afin d’éviter les accrochages entre leurs armées en Syrie.
Ainsi, la coordination entre les deux forces aériennes dans le ciel syrien n’avait connu, officiellement et jusqu’en septembre 2018, aucun incident grave. Par ailleurs, on ne compte plus les déplacements du Premier ministre Netanyahou à Moscou. C’est aussi la raison pour laquelle, depuis le début de la crise syrienne, Israël a pu frapper, en toute impunité et avec l’accord tacite russe, plus de 200 fois les forces iraniennes et du Hezbollah présentes sur le territoire syrien.
Moscou remet les pendules à l’heure avec l’Etat hébreu
Or, depuis six mois et l’incident du Il-20, abattu accidentellement par le régime syrien, suite à une erreur et surtout, à une manœuvre des chasseurs israéliens, les relations entre Israéliens et Russes se sont effectivement quelque peu refroidies.
Dans cette affaire, la colère des militaires russes fut réelle et on l’a vu, la gêne et le malaise des autorités israéliennes furent tout aussi palpables.
Finalement, cet événement fut l’occasion pour Moscou de remettre les pendules à l’heure avec l’Etat hébreu et rééquilibrer, en sa faveur, les rapports de force dans la zone. En effet, les frappes israéliennes ont depuis, sans pour autant cesser totalement, grandement ralenti et cela permet par ailleurs aux Russes de redonner, dans les dernières phases du conflit syrien, des gages à ses «partenaires» iraniens, toujours très prompts à critiquer la mansuétude russe à l’égard d’Israël.
Parallèlement, du côté israélien, il fut de mise de faire profil bas. De fait, il serait totalement contre-productif de se «fâcher» avec une Russie devenue incontournable dans la région. Israël a besoin notamment de l’influence et de la diplomatie russe afin de faire pression sur l’Iran et le Hezbollah (on l’a vu il y a quelques mois avec le retrait des forces chiites proches du Golan israélien…).
De même, du côté russe, il est raisonnablement impensable que Moscou souhaite un jour couper définitivement les ponts avec Israël.
Les rapports entre Israël et la Russie sont plus solides qu’il n’y paraît
Il est connu qu’en relations internationales, il n’y a que des intérêts, pas d’amis ! Comme dans les rapports humains, l’ingratitude est également souvent de mise. Certains de mes confrères affirment pourtant que Vladimir Poutine ne sacrifiera jamais l’«alliance» iranienne aux relations russo-israéliennes. Peut-être.
Néanmoins, depuis ces derniers mois la situation a grandement évolué dans la région. Nombre d’observateurs sous-estiment naïvement les rapports entre l’Etat hébreu et Moscou. Ils sont beaucoup plus profonds et solides qu’il n’y paraît (forte coopération spatiale, militaire, dans le renseignement et le high-tech, échanges économiques et commerciaux importants, lutte commune contre l’islam politique, poids de la communauté russe en Israël – plus d’un million d’individus, soit 20 % de la population totale israélienne –…).
Actuellement, la suprématie militaire et conventionnelle israélienne, sur toutes les forces arabes ou régionales, reste plus que jamais indéniable. Grâce à sa puissance de feu et sa supériorité technologique ainsi que dans le renseignement high-tech comme humain, que cela nous plaise ou non, l’Etat hébreu est LE pivot stratégique du Moyen-Orient. Maîtres du pragmatisme, les Russes en sont très conscients. Lorsqu’on arrive dans une cour d’école, on ne se met pas à dos le petit «caïd» aux gros bras, on s’en sert ! Ainsi, même si Moscou ne veut pas «se brouiller» avec Téhéran, Poutine préférera toujours l’Etat hébreu à l’Iran, qui n’est finalement qu’un partenaire et non un allié, et dont on se méfie toujours sur les bords de la Volga…
Et puis ne nous leurrons pas, les Russes, comme Assad d’ailleurs (mais aussi la Turquie !), ne sont pas très enthousiastes quant à une présence iranienne forte et pérenne en Syrie.
C’est la Perse qui a désormais besoin de la Russie
Les accords récents entre Moscou et Riyad (l’autre grand adversaire de l’Iran), notamment à propos des cours du pétrole et sur le dos même de l’Iran, et que j’ai qualifié dernièrement de «Pacte de Moscou» , sont une ultime illustration de la perception de l’Iran par les Russes…
Enfin, l’histoire nous rappelle également ceci : la Russie a toujours eu des relations très compliquées avec son grand voisin du Sud (traités humiliants de 1813 et 1828 qui signifièrent la perte du Caucase pour la Perse).
Sans aller encore jusqu’à la rupture, les Iraniens, malgré leur résilience légendaire, sont à présent en très grande difficulté. Avec la sortie des Etats-Unis du JCPAO, l’impuissance des Européens dans le dossier du nucléaire iranien et le retour des sanctions économiques, la pression des forces israéliennes et américaines, les troubles en interne et les tensions au sein du pouvoir, Téhéran n’est plus en position de force. Plus que jamais, c’est la Perse qui a désormais besoin de la Russie et cette dernière le sait pertinemment ! Pour ne pas se couper du dernier soutien de poids qu’est la Russie (suivie en cela par la Chine, autre ultime appui de l’Iran), les mollahs, qui ne sont pas stupides, choisiront sûrement, afin de sauver ce qui peut encore l’être, de faire d’énormes concessions, en Syrie et dans la région, plutôt que de se lancer dans une politique de nuisance et du pire qui s’avérerait en définitive suicidaire.
En attendant, et en dépit des condamnations pour la forme de Moscou, Israël continue de frapper des sites militaires iraniens en Syrie (toujours sans représailles), comme en janvier dernier. De plus, nouveau paradoxe régional, Israël devrait conclure prochainement, comme l’Iran, un accord de libre-échange avec l’Union économique eurasienne (UEEA) dirigée par… la Russie !
Enfin, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou devrait se rendre, et pour une énième fois, à Moscou afin de rencontrer Vladimir Poutine.
Assurément, malgré les nuages actuels et en dépit de ce qu’espèrent certains, les relations entre Israël et la Russie semblent avoir encore de beaux jours devant elles…
* Consultant indépendant, associé au groupe d’analyse de JFC Conseil.
Note :
1) Après la publication des premiers résultats de l’enquête sur le crash de l’Il-20 (qui a coûté la vie à 15 militaires russes), la Défense russe attribua toute la responsabilité à l’aviation israélienne, l’accusant d’avoir agi de façon «non professionnelle» ou «commis une négligence criminelle», avait déclaré le général Igor Konachenkov, le porte-parole du ministère russe de la Défense.
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