Abir Moussi profite de la peur qu’inspirent les islamistes à une frange importante des Tunisiens pour promettre d’éradiquer ce mouvement une fois qu’elle sera au pouvoir. Or, c’est une stupidité de la part de cette extrémiste de droite de ne pas reconnaître que cette politique d’éradication a historiquement échoué.
Par Abdelmajid Mselmi *
«Ben Ali surnommé président bac moins trois par ses sujets n’est qu’un flic morose imposant à l’un des peuples les plus civilisés du monde l’encagement dans une dictature gorille», écrivait Gilles Perrault dans ‘‘Notre ami Ben Ali’’ (1999).
Or, plusieurs de nos concitoyens ont de la sympathie pour Abir Moussi, cheffe du Parti destourien libre (PDL), pensant qu’elle est restée fidèle à son patron, l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali, en fuite en Arabie saoudite depuis la révolution du 14 janvier 2011, contrairement à d’autres qui ont retourné la veste. La fidélité est certes une vertu respectable, mais ca dépend à quoi on est fidèle. Etre fidèle à un régime reconnu par tout le monde coupable de dictature, de répression et de corruption ne peut être considéré comme une bonne conduite mais plutôt comme une forme de suivisme aveugle et malsain.
La fidélité d’Abir Moussi à son mentor Ben Ali est d’autant plus douteuse qu’elle n’est pas forcément basée sur des convictions politiques et idéologiques mais plutôt sur des intérêts égoïstes car tout le monde savait qu’elle a bien profité en tant qu’avocate et dirigeante du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) des largesses de Ben Ali à l’égard de ses serviteurs.
Créer l’amalgame entre dictature et stabilité
L’une des thèses de Mme Moussi c’est que les libertés et la démocratie instaurées par la révolution du 14-Janvier sont le mal qui a rongé le pays. Elle appelle à la restauration de la stabilité. Traduire : la dictature et la répression comme c’était le cas sous le régime odieux de Ben Ali.
Pour elle, les Tunisiens ne méritent ni la liberté ni la démocratie. Manipulant l’aspiration légitime des citoyens à la stabilité, ébranlée depuis la révolution, elle use de la démagogie pour les induire en erreur. Elle crie sur tous les toits que la démocratie et la liberté sont synonymes d’instabilité et que ce n’est que la dictature, la répression et la peur qui peuvent assurer la stabilité et mater les mobilisations et les débordements populaires.
La stabilité est un besoin tout à fait naturel pour tout citoyen. La transition démocratique s’est accompagnée forcément d’une instabilité sur tous les plans. D’une part, c’est le prix à payer pour asseoir une démocratie après des siècles de dictature. D’autre part, les Tunisiens ont montré depuis la révolution qu’ils sont bel et bien mûrs pour la démocratie et ils la gèrent de façon convenable avec 5 épisodes électoraux démocratiques et transparents et une alternance pacifique du pouvoir. Ils sont devenus pour tout le monde un exemple à suivre dans la toute la région.
Les études scientifiques et les expériences des pays développés en Europe, en Amérique et même en Afrique ont démontré que le système libre et démocratique est de loin plus stable et plus bénéfique pour les peuples. Les régimes dictatoriaux exposent fréquemment à des soulèvements populaires, à des coups d’états et à des crises politiques, économiques et sociales. Peu à peu, la dictature devient un véritable blocage pour le progrès de la nation comme c’était le cas dans notre pays. Elle sera dégagée un jour ou l’autre avec souvent un prix lourd pour les peuples.
Un mensonge grotesque : éradiquer les islamistes
Abir Moussi profite de la peur qu’inspirent les islamistes à une frange importante des citoyens pour se présenter comme un bouclier contre ce danger et promettre d’éradiquer ce mouvement une fois qu’elle sera au pouvoir à l’instar de son mentor Ben Ali, avec les résultats que l’on sait.
C’est une stupidité de la part de cette extrémiste de droite de ne pas reconnaître que cette politique d’éradication a historiquement échoué et que Ben Ali est actuellement en fuite en Arabie saoudite alors que les islamistes sont au pouvoir en Tunisie. Cherchez l’erreur !
C’est aussi un mensonge grotesque car elle ne dit pas comment elle va réaliser l’«exploit» d’arriver à bout de ce courant politique alors que Ben Ali avec son armada sécuritaire n’y est pas parvenu. Peut-elle le faire en paradant sur son cheval entourée de dizaines d’anciens RCDistes folkloriques ?
L’islam politique est certes le problème le plus complexe et le plus épineux auquel est confronté la démocratie en Tunisie et dans le monde arabe. Les islamistes ont d’une part une assise populaire importante à cause de leur instrumentalisation de la religion et d’autre part ils sont peu ou pas démocrates et n’obéissent pas souvent aux règles démocratiques comme l’ont montré plusieurs expériences passées.
Les démocrates progressistes sont conscients du danger que représente l’islam politique sur la liberté et la démocratie. Mais ils ne pensent point que l’exclusion et l’éradication sont la bonne solution. L’histoire récente de notre pays et sous d’autres cieux ont démontré que ces méthodes sont non seulement anti-démocratiques mais inefficaces et génèrent souvent des effets contraires à l’objectif voulu.
Les islamistes sont un adversaire politique redoutable. On ne peut les vaincre que par le combat politique et en les poussant à s’aligner sur les normes de la démocratie, de la liberté, de la citoyenneté et de l’égalité. Il n’y a pas d’autre solution que de les intégrer dans le processus démocratique sans relâcher la pression politique et culturelle afin de les ramener aux normes de la modernité. L’intégration progressive et la pression continue sont les moyens les plus efficaces face à l’islamisme politique.
La ligne de l’éradication et la confrontation que prône Abir Moussi ne peut mener que vers le conflit civil, dangereux et risqué pour notre pays.
Les élections libres et démocratiques restent toujours le seul moyen pour départager tous les courants politiques dans une démocratie et décider du sort du pouvoir. Les élections de 2014 ont montré que les démocrates sont capables de gagner avec les urnes quand ils optent pour la stratégie adéquate.
Et comme le dit le proverbe «Aide-toi, le ciel t’aidera».
* Médecin et activiste politique.
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