Depuis deux ans, l’université tunisienne traverse une période de grave paralysie. Comment en sommes-nous arrivés là, loin des objectifs majeurs du savoir et de la recherche scientifique : être une locomotive du développement durable, du progrès, et de la prospérité ?
Par Ezzedine Ferjani *
La principale caractéristique de cette crise : l’absence totale de dialogue et de communication entre les parties prenantes et l’absence de volonté de part et d’autre de résoudre le conflit en cours.
Les responsables politiques, l’administration, l’universitaire et les étudiants sont des partenaires qui sont censés travailler ensemble pour atteindre les objectifs cités. Les discours enflammés, les passions exacerbées, la haine partagée, la violence verbale et la mobilisation des médias dans le conflit ont créé, au sein de l’université, une atmosphère délétère, nous faisant passer à côté de l’essentiel, au mépris de toute analyse rationnelle et froide des tenants et aboutissants de la crise.
Eviter les surenchères et les fuites en avant dans l’adversité
Cette crise, comment en sortir très rapidement ? Il faut d’abord arrêter tous les discours passionnés, agressifs et violents, que l’on entend ça et là. Il faut ensuite que les parties prenantes, à savoir le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, les représentants du Syndicat général de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique (SGESRS) relevant de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et de l’Union des enseignants universitaires et chercheurs tunisiens (Ijaba), se réunissent pour discuter, ne fut-ce pendant qu’une petite heure de temps et élaborer ensemble une solution possible et acceptable par toutes les parties, en évitant les surenchères et les fuites en avant dans l’adversité.
Il faut aussi revoir et équilibrer l’échelle des salaires, car il est aberrant qu’un enseignant bac +4 touche autant qu’un assistant universitaire ou qu’un bac +6 touche 1000 DT de plus qu’un professeur universitaire. Donc rétablir dans leurs droits les universitaires en accordant un supplément de 350DT net pour l’assistant et de 1000DT net pour le professeur.
Par ailleurs, l’effort doit être équitablement récompensé, car il n’est pas normal qu’un enseignant universitaire qui consacre 6 heures par semaine à son travail soit payé exactement le même salaire qu’un autre qui travaille 60 heures pendant la même durée : cette injustice ne peut plus durer.
Il s’agit aussi de créer rapidement des mécanismes d’insertion pour les 5000 détenteurs de doctorat au chômage. C’est une situation aberrante et intenable.
Pour permettre à l’université de mieux jouer son rôle comme vecteur de développement durable, il convient enfin de mieux faire connaître les services d’aide à la recherche et, surtout, les généraliser et les démocratiser, car offrir, annuellement, des aides à la recherche pour 100 jeunes universitaire est très en-deçà des besoins. Il faudrait faire bénéficier de cette aide au moins 2000 chercheurs. Car ce n’est qu’ainsi que l’on permettra à l’université de jouer un rôle central dans le développement du pays.
Avoir une conscience claire des objectifs, des possibilité et des moyens
La Tunisie ne pourra avancer sur la voie du progrès et de la modernité si les responsables au sommet n’ont pas une conscience claire des objectifs de développement, des possibilités et des moyens disponibles. Car, est-il normal que la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG), le Groupe chimique tunisien (GCT), la Société tunisienne d’électricité et de gaz (Steg), Tunisair ou encore les caisses sociales et l’université continuent de s’enfoncer dans la crise et de sacrifier à la médiocrité et d’accepter le délabrement ? Que faisons-nous depuis la révolution de 2011 pour sortir le pays de la crise, sinon de la politique politicienne, tout en continuant tournant en rond??
La Tunisie mérite mieux, d’autant qu’elle dispose de l’une des meilleures élites intellectuelles du monde arabe, d’entrepreneurs dynamiques, d’une jeunesse ambitieuse, d’une histoire riche et d’une diversité merveilleuse.
Arrêtons donc de tâtonner et d’improviser et mettons enfin notre pays sur les rails du développement durable, du progrès, de la prospérité partagée et de la modernité.
* Professeur, écrivain, et directeur d’une institution universitaire.
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