Ils sont tombés bien bas ces dirigeants politiques tunisiens qui veulent écrire des lois à leur mesure pour défendre leurs postes et écarter ceux qui, aujourd’hui, leur font de l’ombre ou menacent de leur succéder.
Par Rachid Barnat
On lit, en effet, que certains de ces dirigeants voudraient que soient votés des amendements à la loi électorale pour interdire aux dirigeants d’associations caritatives de se présenter aux élections et que cela soit également interdit à ceux qui feraient l’apologie de la dictature, sous entendu celle du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), parti au pouvoir sous le règne de Ben Ali, le président déchu le 14 janvier 2011!
Il faut espérer que ces amendements seront rejetés et que ceux qui en ont eu l’initiative vont se ressaisir en se rendant compte que cette démarche va leur nuire énormément au lieu de leur profiter.
Des amendements visant à écarter très clairement trois candidats
Ces amendements proposés à quelques mois des élections et qui sont faits sur mesure pour écarter très clairement trois candidats : l’amendement sur les médias et les associations caritatives vise clairement Nabil Karoui, patron de Nessma TV et initiateur de l’émission-action caritative ‘‘Khalil Tounes’’, et Olfa Terras-Rambourg, initiatrice de l’association-mouvement politique 3ich Tounsi…
Mais plus grave encore et plus ridicule, un amendement voudrait écarter des élections «ceux qui font l’apologie de la dictature»; suivez mon regard ! Ce serait, selon ces apprentis sorciers, le cas de Abir Moussi, président du Parti destourien libre (PDL).
«Ce serait» car cet amendement ne pourra être appliqué par des juristes sérieux, Mme Moussi n’ayant jamais fait l’apologie de la dictature, même si elle a souvent défendu le bilan de l’ancien régime dont elle se réclame sans complexe, et son projet de Constitution le démontre amplement. En réalité, elle n’a qu’un défaut : elle dit leurs vérités aux hommes politiques incapables et responsables de la situation catastrophique du pays !
D’ailleurs Mme Moussi a dit vraiment et de manière claire, dans une déclaration, ce qu’il fallait penser de cette initiative misérable et très bête, et qui démontre deux choses graves concernant ceux qui en sont à l’origine. Comme le dit Mme Moussi, ces gens se comportent très exactement comme des dictateurs qui font les règles au fur et à mesure de l’évolution leurs besoins et non dans l’intérêt général mais dans leur propre intérêt.
Quant aux problèmes des associations caritatives, l’hypocrisie est encore plus grande car qui ignore qu’Ennahdha utilise une foule d’associations caritatives, financées dans des conditions plus que douteuses (l’émir du Qatar, la Turquie erdoganienne et autres pétro-monarques), pour faire sa propagande en distribuant des cadeaux dès qu’il y a des élections!
Abir Moussi rappelle à juste titre que beaucoup ont demandé depuis longtemps que cette question du financement de ces associations soit examinée; et ceux qui veulent aujourd’hui ces amendements s’y sont refusés.
Va-t-on ouvrir la porte aux lois taillées sur mesure comme le faisait Ben Ali?
Cette initiative est grave et va entraîner, si elle aboutit, une réaction de très nombreux citoyens outrés par ce comportement. Elle va de nouveau diviser gravement le pays qui n’a pas besoin de cela. Mais elle a au moins un mérite, c’est de nous démontrer, une fois de plus et clairement, le lien qu’il y a une alliance claire entre les partis Ennahdha, Nidaa Tounes, Machrou Tounes et Tahya Tounes, qui soutiennent cette initiative scélérate, alors qu’ils nous disent qu’ils ne veulent plus d’alliance avec les islamistes !
Comment les croire après cette démonstration claire de leur fausseté et de leur connivence ?
De nombreux éditorialistes se sont déjà élevés contre cette petite magouille déshonorante; et l’UGTT a demandé le report de l’examen de cet amendement.
L’avocate Dalila Ben Mbarek Msadek s’est exprimée contre l’amendement de la loi électorale : «Aujourd’hui cette exclusion concerne Nabil Karoui, Abir Moussi et Kais Saïed, demain ceux qui ont voté cette loi seront eux-mêmes concernés par cette exclusion. Lors des échéances de 2020, ils vous trouveront des prétextes pour vous exclure et ce sera votre tour. Vous avez ouvert la porte aux lois taillées sur mesure tout comme le faisait Ben Ali. Cela prouve que vous être incapables de gagner à la loyale et vous préférez gagner par forfait car vous êtes des loosers… cela n’est pas sauver la démocratie mais l’assassiner pour vous sauver vous-mêmes».
Le président de la république pourrait se grandir et s’élever au-dessus de cette minable magouille, en refusant de promulguer ce texte scélérat; lui contre lequel Rached Ghannouchi avait projeté, il y a quelques années, un projet de loi limitant l’âge du candidat à la présidence, pour éliminer de la couse un sérieux opposant, avant d’y renoncer après la rencontre des deux hommes à Paris!
Faut-il l’espérer ? L’espérer oui, le croire c’est autre chose.
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