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Le poème du dimanche : ‘‘Stratford’’ et ‘‘Les Almanachs’’ de Hédi Kaddour

Né à Tunis en 1945 d’un père tunisien et d’une mère française, Hédi Kaddour est un poète et romancier français. Il a publié de nombreux recueils de poèmes, dont ‘‘Le chardon mauve’’ (1987), ‘‘La fin des vendanges’’ (1989). ‘‘La chaise vide’’ ( 1992), ‘‘Jamais une ombre simple’’ (1994), ‘‘Les fileuses’’ (1995) et ‘‘Passage au Luxembourg’’ (2000).

Le premier roman de Hédi Kaddour ‘‘Waltenberg’’ a reçu le prix Goncourt du premier roman et a été classé «Meilleur roman français de l’année 2005» par le magazine ‘‘Lire’’.

Evouant son passé tunisiens à l’occasion de la sortie de son roman ‘‘Les Prépondérants’’, en 2015, inspiré de l’histoire maghrébine, Hédi Kaddour déclare : «Je suis ce qu’on appelle un couscous-pommes frites. Ma mère était pied noir d’Alger. Elle a épousé mon père, Tunisien, en 1944. À l’époque, il fallait un certain courage pour faire ce genre de choses». Douze ans en Tunisie. Puis la France. «Ce sont les données de départ. L’essentiel est ce qu’on en fait. Les racines, c’est pour les arbres. Si vous lui coupez les racines, il crève. Alors que l’humain, c’est la possibilité du déplacement», souligne-t-il.

Plus tard, coopérant, Hédi Kaddour retrouvera le sud de la Méditerranée en enseignant treize ans au Maroc où il étudiera l’arabe classique.

Agrégé de lettres modernes, Hédi Kaddour est traducteur de l’anglais, l’allemand et l’arabe. Il a enseigné la littérature française et la dramaturgie à l’École normale supérieure de Lyon et l’écriture journalistique au Centre de formation des journalistes (CFJ).

Il est aujourd’hui professeur de littérature française à la New York University in France et responsable de l’atelier d’écriture de Sciences Po Paris.

Rédacteur en chef adjoint de la revue ‘‘ Po&Sie’’, il donne des chroniques littéraires au ‘‘Monde des livres’’, à ‘‘Libération’’ et au ‘‘Magazine littéraire’’.

Stratford

L’une avait des cheveux blonds
Et ne les penchait guère
Que sur les redoutables héros de ses livres.
Quand ils se battent pour une captive
Aux jambes encore entravées; l’autre
Portait un corsage couleur de lièvre
Sans rien d’éperdu dans sa forme
Et s’essayait au tremblé de la voix
Pour faire vrai quand elle disait qu’aucun air
N’innocente un monde à faux proverbes
Et meurtres cachés.
Elles avaient appris
À se connaître en aimant
Hamlet
Et les hommes hésitants, à
Stratford,
Comme il convient.
Dans la fumée,
Les cris du pub, l’acteur démaquillé
Avait aussi lampe des bières sans fin,
Tandis qu’Ophélie riait chaque nuit
De plus en plus haut, en gagnant
Contre de vrais gaillards
Des parties de fléchettes rouge et or.
Les gens parfois chantaient
O mistress mine…
Et certains finissaient par se prendre la main.
Il y eut même un soir une vraie foudre :
Edmund,
Bâtard de
Lear, et le silence chargé d’armes
Soudain, de craquements de planches,
De mots obscènes contre les héritiers :
Toi,
Nature, Ô ma déesse…
Elles rentraient tard,
Sous un vertige d’étoiles, festin de rythmes
Filant par-delà les questions vers l’ombre bleue,
Buissons, flocons et lèvres de la rivière.
Cherchant l’issue, cherchant les impensables
Fleurs lucides, et s’arrêtant ensemble
Au rebord de jardins ensauvagés pour mieux
S’imaginer chaque syllabe sans cesse
À bout de branche, à bout d’idée
Nouvelle et de dépense avide : comment
Échapper au legs, comment devenir
Quelqu’un d’autre, à sa juste distance.
Et moyen pour les yeux de ne jamais
Durcir ce qu’ils regardent, même quand
La vie va prendre cette forme unique :
À l’avenir présentez-vous dans les délais.
Quelque chose était là malgré tout dans les haies
Parmi les liserons ; il faudrait vingt ans
D’oubli pour en retrouver la douceur.

Les almanachs

Tôt le matin résiste le silence,
La table est mise de nouveau, et au fond
Des vieilles assiettes d’Obernai
Un cheval pastel et son cavalier rose
Luttent contre l’imperceptible tournis
Qui refait vaciller le regard des humains :
Elle aimait crier
Vive les femmes !
Chaque fois qu’à la radio une ménagère
Qui ne savait peut-être pas très bien
Tirer sur les moineaux du jardin
Abattait son mari; elle était si belle
Que quand elle apparaissait
Nous rangions en vitesse nos lettres d’amour
Dans nos cartables et cherchions,
À travers la magie des couloirs, les sons inouïs
Les éclats d’or, la meule de paille
Que disperseraient ses cuisses.
Agressive
Comme la plus belle des pensées, adorez,
Disait-elle en riant, vos affolantes diagonales
De parole à présence, moi, je ne m’agenouille
Que pour l’accouplement.
Puis elle disparaissait
Derrière une grammaire grecque
Et le fauteuil le plus accablé se mettait
À croire à la libération des hanches.
C’était avant que les bienfaits
Ne soient comptés, et peut-être
Aurait-elle fini par nous apprendre
Par exemple ce qui se passe lorsque
De la
Cornouaille à l’Ukraine,
En quelques jours, le safran des colzas
Met le feu à tout l’espace
Entre les cœurs et les maisons,
Ce qu’il faut aux amants
Pour qu’ils parviennent à trouver refuge
Sur le fil d’une hache, ou pourquoi les mots
Ne dansent jamais aussi fort
Que quand nous hésitons entre silence
Et méchanceté.
Mais il aurait fallu
Chercher en elle ce que nous n’étions pas,
Elle allait trop vite pour nous laisser le temps
De rapiécer nos intentions, et les almanachs
N’ont besoin pour conclure que d’une volonté
Lourde, celle qui aide le paysage à ordonner
Les géraniums sur les fenêtres aveugles : combien
De temps peut-on garder le sens tremblé
De ce que fut le temps au creux du monde
Après que la voiture a quitté la route
Et qu’elle appartient aux guêpes,
Au diable, aux armoiries du lac?
Ombre
Des pierres, leurs éclats argentés.
Sous un vertige d’oiseaux entre les câbles
À trois cent mille volts, la vie si vive
Casse en un tour d’essieu la fleur, la peur,
La peine et la matière.
Bien après l’oubli,
Tout ce qu’on a manqué se venge
Dans un agacement qui ne sait même plus
Ce qu’il est, et seuls quelques convives
Abêtis par l’orgueil d’avoir souffert
Se reconnaissent encore entre eux : d’anciennes
Folies leur ont laissé les yeux en couilles de loup.

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