Le premier débat télévisé entre des candidats à la présidentielle du 15 septembre 2019 a été diffusé, hier soir, samedi 7 septembre, en direct, par la chaîne publique Wataniya et repris par plusieurs autres médias publics et privés. Qu’en est-il resté ? En vérité pas grand-chose…
Par Ridha Kéfi
Ce premier débat d’une série de trois successifs a réuni 8 candidats, le 9e, Nabil Karoui, candidat du parti Qalb Tounes, n’a pas été autorisé par les juges à y prendre part, par téléphone, le seul moyen trouvé, parce qu’il est incarcéré à la prison de Mornaguia, dans le cadre d’une affaire de corruption financière et de blanchiment d’argent.
On peut estimer qu’un autre candidat, Slim Riahi, lui aussi poursuivi dans des affaires similaires et en fuite à l’étranger depuis janvier dernier, laissera lui aussi son siège vide. D’où la bizarrerie de toute cette opération, la première du genre organisée en Tunisie et même dans toute la région et qui a été rendue possible grâce à l’aide précieuse d’une Ong spécialisée dans ce domaine, Mounathara, sous la supervision de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) et la Haute autorité indépendante de la communication audio-visuelle (Haica).
Tout était réglé comme du papier à musique
Le passage des candidats était tiré au sort, leurs réponses minutées (90 secondes pour chaque question) et le rôle des journalistes de service, Asma Bettaieb et Elyes Gharbi, limité à poser des questions préparées d’avance par un collège de journalistes et réparties en plusieurs axes correspondants aux prérogatives du président de la république telles que définies par la constitution de 2014 : sécurité publique et lutte contre le terrorisme, diplomatie et relations internationales, économie et société, etc.
Les candidats retenus pour le premier débat télévisé étaient Moncef Marzouki, Mohamed Abbou, Abdelfattah Mourou, Abir Moussi, Abid Briki, Mehdi Jomaa, Neji Jalloul et Omar Mansour.
Dans l’ensemble, tout était réglé comme du papier à musique et les candidats ont tous respecté la règle, récitant leurs leçons apprises par cœur comme des élèves disciplinés. Il n’y a pas eu vraiment de clashs, car les candidats devaient éviter de s’en prendre les uns aux autres, c’est la règle du jeu, et ils se sont tous gardés de l’outrepasser, de peur de passer pour des malotrus.
Les candidats évitaient de se regarder les uns les autres et s’ignoraient presque royalement. Les téléspectateurs qui s’attendaient à des combats homériques, par exemple entre la Destourienne Abir Moussi et l’islamiste Abdelfattah Mourou, en ont eu pour leur frais. Ce qui tranche avec les habituelles chamailleries à la limite de la grossièreté marquant les débats politiques sur les plateaux télévisés et radiophoniques.
Va pour la forme, mais où est le contenu ?
On était entre gens biens, trop bien même. Et cette manière de policer et de lisser ce qui était habituellement revêche et vindicatif n’a pas été, on l’imagine, du goût des téléspectateurs, dont beaucoup se sont dit déçus. D’où les interrogations sur l’utilité de ce genre d’exercice, d’autant que sur le plan du contenu, on était resté sur notre faim. Les candidats étaient trop soucieux de se montrer à leur avantage pour prouver qu’ils sont dignes du poste sollicité – certains l’étaient davantage que d’autres, dont on se demande ce qu’ils font dans cette galère où ils se sont embarqués sans munitions – qu’ils se sont contentés de débiter des généralités sur le rôle du président de la république, l’étendue de ses prérogatives et les possibilités qu’il a d’intervenir sur les questions qui ne sont pas en apparence de son ressort : la relance de l’économie et la lutte contre la corruption, la criminalité, les inégalités sociales et la pauvreté.
On a eu droit, bien entendu, aux habituels serpents de mer : la diplomatie économique, la souveraineté nationale, la digitalisation et patati et patata. Mais aucun des candidats n’a vraiment apporté des remèdes nouveaux aux vieux maux mille fois diagnostiqués ou une approche inédite et audacieuse pour sortir la Tunisie rapidement de la crise. Les plus futés n’ont pas omis de faire des appels du pied en direction des femmes, des agriculteurs, des chômeurs ou autres opérateurs privés, ou des annonces populistes sur le thème de la souveraineté nationale, mais c’était si téléphoné que l’effet escompté s’est rapidement dissipé. C’est à se demander s’ils n’ont pas tous appris la même leçon.
Espérons que les participants au second débat télévisé, ce soir à 21 heures, à savoir Mohamed Loti Mraihi, Hamadi Jebali, Mohsen Marzouk, Mohamed Ennouri, Mohamed Hechmi Hamdi, Hatem Boulabiar, Elyes Fakhfakh, Mongi Rahoui et Abdelkrim Zbidi, retiendront la leçon des échecs du premier pour améliorer, un tant soit peu, leurs prestations. Sinon, on serait parti pour une autre soirée gâchée.
En guise de conclusion, je ne résiste pas à la tentation de citer la réaction d’un ami, Abdellatif Ben Salem, journaliste, écrivain et traducteur résidant à Paris, par ailleurs collaborateur à Kapitalis, qui a eu le même sentiment mitigé après avoir vu le premier débat télévisé, un simple gadget sans intérêt, qui gomme les différences et aplatit le débat.
Voici, par ailleurs, le texte du mail qu’il m’a envoyé : «A un moment , j’avais l’impression de regarder l’émission de la TV française « Des Chiffres et des Lettres » que d’ailleurs je ne regarde jamais. J’ai le sentiment que l’inflation post révolution des Ong, en réalité pilotées en catimini par des officines occidentales ultra spécialisées chacune dans un domaine , qui proposent des kits complets pour tout et pour n’importe quoi, privant pour ainsi dire les Tunisiens de trouver leur propre chemin dans l’invention des solutions adaptées aux réalités de notre pays. C’est une autre manière de dire combien je m’inscris en droite ligne dans ta critique du hiatus existant entre forme et contenu. Trop de luxe (« bahraj ») pour une réalité médiocre.»
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