Censuré en Algérie, »Papicha », première œuvre de la cinéaste algérienne Mounia Meddour est en lice pour le Tait d’or. Une fiction inspirée de faits réels qui donne la parole aux femmes pour raconter toute l’horreur de la décennie noire.
Par Fawz Ben Ali
Hier, dimanche 27 octobre 2019, ont commencé les premières projections des Journées cinématographiques de Carthage (JCC 2019), qui avaient démarré la veille avec la cérémonie d’ouverture suivie de la première du film tunisien ‘‘Les épouvantails’’ de Nouri Bouzid. Le public était là en masse en ce dimanche particulièrement animé, fidèle à ce rendez-vous annuel qui, depuis 1966, demeure le festival le plus populaire du pays.
Le cinéma algérien, toujours aussi poignant
En l’absence de la reine des salles Le Colisée, actuellement en maintenance, c’est la salle de l’Opéra à la Cité de la culture qui accueille cette année les films de la compétition officielle des longs-métrages de fiction, ceux qui attirent le plus de monde.
La compétition a démarré en force avec ‘‘Papicha’’, première œuvre de la cinéaste algérienne Mounia Meddour, un film qui a beaucoup fait parler de lui cette année depuis son passage au Festival de Cannes, puis sa présélection aux Oscars, et enfin sa censure en Algérie.
Le cinéma algérien est un habituel du palmarès des JCC et il a toujours brillé dans la compétition officielle grâce à des films poignants, réalistes et actuels, signés aussi bien par les vétérans que par la nouvelle génération de cinéastes. Vingt ans plus tard, la décennie noire continue de préoccuper les artistes algériens, encore fortement marqués par cette guerre civile entre l’armée nationale et les islamistes, ayant fait près de 150.000 morts.
Beaucoup de films ont parfaitement illustré ce chapitre noire de l’histoire de l’Algérie, on se rappelle entre autres de ‘‘Maintenant ils peuvent venir’’ de Salem Brahimi, Tanit d’argent des JCC 2016. Cette année, c’est une cinéaste femme Mounia Meddour, fille du cinéaste Azzedine Meddour, qui nous propose un retour à la décennie noire en mettant en exergue le vécu des femmes. ‘‘Papicha’’, qui veut dire en algérien «jeune fille coquette» est l’histoire de Nedjma (magnifiquement interprétée par Lyna Khoudri), une jeune fille de 18 ans pleine de vie et passionnée de couture et de stylisme, qui, avec l’aide de ses copines, décide d’organiser un défilé de mode, qui devient un vrai acte de résistance au moment où le terrorisme bat son plein.
Une ode féministe à la vie et à la liberté
À travers son personnage principal «Nedjma» (qui fait aussi référence au roman éponyme de l’écrivain algérien Kateb Yacine), Mounia Meddour rend hommage à la femme algérienne en particulier, mais aussi et plus généralement au combat pour l’émancipation féminine dans toutes les sociétés patriarcales.
L’écriture scénaristique aussi bien que les choix esthétiques du film sont construits sur un nombre de contrastes que la cinéaste a voulu mettre en évidence, notamment la féminité et la sublimation du corps à travers le défilé (élément très symbolique dans le film) d’un côté, et les nombreuses intimidations au port du voile de la part des islamistes, d’un autre côté. C’est l’histoire d’une lutte permanente pour mener une vie normale alors que le quotidien des algériens s’emprunt de plus en plus de violence et de terreur.
Mounia Meddour a choisi de braquer sa caméra du côté des femmes, première cible des islamistes ; et c’est justement là que le film pose une question centrale et fondamentale : Que risque une femme libre quand elle décide de tenir tête aux facho-islamistes ? Car le corps des femmes et leur simple présence dans les espaces publics dérange. On commence alors à coller des affiches sur les murs incitant les femmes à porter le voile intégral; de multiples campagnes d’intimidation qui basculent vite vers le harcèlement verbal et physique, le viol et puis l’assassinat.
La cinéaste a fait le choix de beaucoup miser sur une caméra à l’épaule, en perpétuel mouvement et très proche des actrices pour saisir cette urgence de vie et cette course contre la mort, une mise en scène sublimée par un énorme travail d’interprétation de la part d’un jeune groupe de filles : Lyna Khoudri, Shirine Boutella, Amira Hilda Douaouda, Zahra Doumandji, sans oublier la grande actrice Nadia Kaci, invitée sur le plateau de tournage pour quelques brèves apparitions.
‘‘Papicha’’ est un film bouleversant, une ode féministe à la vie et à la liberté contre le joug du patriarcat et de l’islamisme; et le public tunisien n’est pas resté indifférent à cette œuvre magistrale, loin de là, car c’est une standing ovation qui a accompagné le générique de la fin. Le film a toutes ses chances de faire partie du palmarès de cette année.
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