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Le poème du dimanche: ‘‘La mort du poète’’ de Mikhaïl Lermontov

Né le 3 octobre 1814 à Moscou et décédé le 15 juillet 1841 à Piatigorsk, Mikhaïl Iourievitch Lermontov est un grand poète russe, surnommé «Le poète du Caucase». Ce poème (traduit du russe par Jacques David) est consacré à la fin tragique d’un autre grand poète russe, Alexandre Pouchkine, et sur le mépris que lui avait alors manifesté la haute société. Il lui vaudra d’être banni de Saint-Pétersbourg et d’être envoyé sur le front au Caucase.

Fils d’un nobliau, capitaine en retraite; orphelin de mère à moins de trois ans, il est élevé par sa grand-mère maternelle, riche aristocrate. Il reçoit une brillante éducation qu’il poursuit à la section des sciences morales et politiques de l’Université de Moscou, foyer militant de pensée libérale à l’époque de la réaction qui suit l’écrasement des décembristes.

Officier de hussards à Tsarkoé-Sélo (ville se situant dans la banlieue de Saint-Pétersboug qui fut jadis une enclave de la famille Romanov et depuis rebaptisée Pouchkine), il partage la vie mondaine et tumultueuse de ses camarades. Bouleversé par la mort de Pouchkine en 1837, il écrit un poème qui lui vaut d’être arrêté, puis envoyé sur le front du Caucase.

Lermontov se distingua lors d’opérations militaires contre les montagnards et participa aux batailles les plus sanglantes de 1840. Son supérieur direct sollicita son retour dans la garde, ce qui, en fait, équivalait à demander sa grâce. ‘‘Un héros de notre temps’’, publié au printemps 1840, connaît un succès immédiat.

En 1841, le tsar ne lui accorda qu’un congé de deux mois. Lorsque celui-ci prit fin, le tsar refusa de confirmer les décorations qui avaient été proposées pour Lermontov au Caucase, et le général Kleinmichel exigea son retour immédiat au Caucase. Le 14 avril 1841, Lermontov quitta Saint-Pétersbourg. Il ne lui restait que trois mois à vivre. Il fut tué en duel par Nikolaï Martynov, à l’âge de 27 ans.

Il laisse une œuvre abondante et variée, qui peut être considérée comme le sommet du romantisme russe. Elle comporte essentiellement des vers, dont les premiers remontent à son adolescence (poésies lyriques, poèmes : ‘‘Le Démon’’, ‘‘Le Novice’’), mais aussi des drames, comme ‘‘La Mascarade’’ et de la prose : ‘‘Un héros de notre temps’’.

Le romantisme de Lermontov exprime la révolte et l’amertume de toute une génération. Son inspiration fougueuse, la violence de sa lucidité, enfin les qualités plastiques et musicales de sa langue en font une des figures les plus hautes de la littérature russe. Mais il a disparu avant d’avoir pu montrer toute l’ampleur de son génie. Grand poète, il fut aussi un remarquable prosateur. À la fois fin styliste et créateur du roman psychologique, il est le précurseur de Tolstoï et de Dostoïevski.

Le poète est mort, de l’honneur esclave;
Diffamé par l’opinion, il emporte
Au cœur ce plomb… et sa soif de revanche
Ayant incliné son front orgueilleux.
Oui, l’âme du poète a succombé
À l’infamie de mesquines offenses;
Il s’était dressé contre l’opinion,
Tout seul, comme toujours… il fut vaincu,
Vaincu !… À quoi bon dès lors les sanglots,
L’inutile chœur des éloges vides,
Les balbutiements qui réhabilitent ?
Du sort la sentence a trouvé son heure !
Ne fûtes-vous pas toujours les premiers
À bafouer ses dons hardis et libres,
N’attisiez-vous pas, pour vous en distraire,
L’intime incendie qu’il cachait si mal ?
Alors ? Réjouissez-vous… Il n’a point pu
Porter le fardeau des derniers outrages,
Étonnant génie, flambeau qui s’éteint,
Superbe couronne à présent flétrie.
Le meurtrier lui a, plein de sang-froid,
Porté un coup qui ne pardonne point :
Son cœur est vide et bat d’un rythme égal :
La main qui tient le pistolet est ferme.
Comment s’étonner ?… D’un pays lointain
Il vient, pareil à tant de fugitifs,
Dans sa chasse au bonheur, aux dignités,
Jeté chez nous par le vouloir du sort.
Effrontément méprisant, il se moque
De notre langue ainsi que de nos mœurs ;
Comment épargnerait-il donc nos gloires,
Et saurait-il, en cet instant sanglant,
Sur quoi il vient d’oser lever la main ?

Le poète est mort, le tombeau l’a pris,
Pareil à cet aède inconnu* mais aimable
Proie de la sourde jalousie,
Qu’il célèbre avec tant de merveilleuse force,
Et frappé comme lui d’une main sans pitié.
Quittant paisibles joies et sincère amitié,
Pourquoi donc entra-t-il en un monde d’envie
Où tout pèse au cœur libre, aux passions de flamme?
Pourquoi tendre sa main aux vils calomniateurs,
Pourquoi prêter sa foi aux serments insincères,
Lui qui si jeune encore avait connu les hommes!
Ayant pris sa couronne, ils ceignirent ses tempes
De lauriers entrelacés d’épines;
Mais cruellement leurs aiguilles
Blessaient en secret son front noble…
Par de grossiers railleurs ses ultimes instants
Furent empoisonnés d’allusions perfides,
Puis il mourut sur sa vaine soif de revanche,
Dans le dépit secret de ses espoirs trahis…
L’accent de ses chants magiques s’est tu,
Et plus jamais il ne retentira :
Du chanteur l’asile est étroit, austère,
Un sceau pour toujours vint clore ses lèvres!

Et vous, descendants insolents de pères
Que l’infamie notoire a rendus trop célèbres,
Vous dont le pied servile a foulé les vestiges
Des familles blessées par le jeu du Destin,
Vous, les ambitieux, en foule autour du trône,
Les bourreaux du génie, et de la liberté!
Vous vous cachez dans l’ombre de la loi,
Devant vous, tribunaux et vérité se taisent.
Oui, mais le Tribunal divin, ô dépravés,
Le Juge redoutable, il vous attend,
Il est inaccessible au son de l’or,
À l’avance il connaît les pensées et les causes.
Alors vous pourrez bien user de calomnie :
Cela ne vous sera d’aucun secours.
Vous ne laverez point de tout votre sang noir
Tout le juste sang du Poète.

* Cet aède inconnu: c’est Lenski, l’un des héros du roman de Pouchkine ‘‘Eugène Onéguine’’, qui succombe dans un duel contre Onéguine.

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