Populiste de droite, le président du Brésil, Jair Bolsonaro a décidé de défier le Covid-19 en rejetant le confinement pour séduire le petit peuple des favelas, avec en toile de fond la prochaine élection présidentielle de 2022.
Par Hassen Zenati
Brasilia au temps de la pandémie. Debout sur le trottoir en tenue légère, sans masque, le président brésilien Jair Bolsonaro, apparemment détendu, converse avec un marchand des quatre saisons, sans aucune protection lui aussi, déterminé à relever le défi du coronavirus envahissant.
Dialogue surréaliste alors que le pays compte déjà plus de 110 morts et quelque 4.000 personnes infectées. «La mort est là, si Dieu le veut. Mais nous ne pouvons pas rester là à attendre, il y a des craintes car si on ne meurt pas de la maladie, on meurt de faim», dit le vendeur ambulant, confiant dans la volonté de Dieu. «Tu ne vas pas mourir», rétorque le président populiste, avant de poursuivre son chemin pour porter son message présidentiel parmi ses partisans dans ce pays de solide tradition chrétienne: le Brésil ne peut pas s’arrêter de travailler malgré la pandémie, les consignes de confinement décrétées par le ministre de la Santé, Luiz Henrique Mandetta, et l’interdiction faite par un tribunal fédéral au gouvernement de diffuser des vidéos allant à l’encontre des restrictions relevant de la compétence des gouverneurs des Etats locaux.
Bolsonaro emboîte le pas à son mentor Trump
Emboîtant le pas à son mentor du Nord, Donald Trump, président des Etats-Unis, auquel il porte une admiration sans bornes, Jair Bolsonaro, minimise la pandémie, qualifie le Covid-19 de «petite grippe» et ajoute : «Ce confinement, s’il continue ainsi, avec le nombre de personnes qui vont se retrouver au chômage, un peu plus tard, nous allons avoir un très grave problème que nous allons mettre des années à résoudre. Si le Brésil s’arrête, nous devenons le Venezuela».
Rattrapé par les faits, Donald Trump est revenu sur ses positions initiales en autorisant un confinement partiel et des restrictions de déplacement, notamment à New York et Washington, mais pas l’obstiné Jair Bolsonaro, qui continue à tenir tête à ses gouverneurs et à la justice, en dénonçant «l’hystérie» médiatique qui accompagne la mise en garde contre la propagation du virus.
«Les autorités de certains États et municipalités doivent renoncer au concept de la terre brûlée : l’interdiction des transports, la fermeture des commerces et le confinement massif. Nous devons maintenir les emplois et préserver l’approvisionnement des familles», proclame-t-il avec aplomb, s’attirant les foudres d’une grande partie de la classe politique et des gouverneurs des 26 Etats du pays. Il craint, dit-il, que les mesures de fermeture des entreprises, des services publics et des écoles, notamment dans l’État de Sao Paulo, le plus riche du Brésil, ne ruinent le pays. Il soutient en outre contre le consensus des scientifiques que le Brésil est à l’abri de l’épidémie grâce à son climat chaud et à sa population jeune et ajoute, dupliquant des propos tenus par Donald Trump avant lui: «Je suis désolé, certaines personnes vont mourir, c’est la vie. Vous ne pouvez pas arrêter de fabriquer des voitures à cause des accidents de la route».
Sur les réseaux sociaux, ses partisans ont partagé une publicité télévisée plus explicite, qui aurait coûté un million de dollars à la présidence : «Pour le vendeur de quartier, pour les propriétaires de commerces dans les centre-ville, pour les employés de maison, pour des millions de Brésiliens, le Brésil ne peut pas s’arrêter».
L’ultralibéral populiste pense à sa réélection
Porté au pouvoir en octobre 2018 par une puissante vague évangéliste, Jair Bolsonaro, militaire de profession avant d’embrasser une carrière politique au début des années 1990, n’a jamais caché sa nostalgie pour le régime militaire brésilien (1964-1985), ni son aversion pour les femmes, les homosexuels, les Noirs et les indigènes. Il est le tombeur de l’idole de la gauche brésilienne Lula da Silva, élu président en 2002 et réélu en 2006, avant d’être condamné en 2018 à 12 ans de prison pour corruption et blanchiment d’argent, à la suite d’un procès controversé.
En arrivant au pouvoir, fort de ses 55,13% des voix, contre son rival de gauche Fernando Haddad, Jair Bolsonaro a promis de «changer le destin du Brésil». «Nous ne pouvons plus continuer à flirter avec le socialisme, le communisme, le populisme de gauche», a-t-il ainsi affirmé dans son discours d’investiture, se déclarant ouvertement ultralibéral. Mais depuis sa popularité a quelque peu décliné et son discours s’est émoussé. Ce qui explique, selon les analystes, sa volonté de se racheter auprès du «peuple des favellas», ces foyers de misère et de violence, qui enserrent les grandes métropoles brésiliennes, vivant du marché noir et du trafic informel, sans couverture sociale ni médicale, pour lesquels le confinement «c’est la mort».
C’est sans doute en pensant à eux et à la prochaine élection présidentielle de 2022, que l’ancien militaire, multiplie de zèle pour demander la levée des restrictions, en endossant le costume du défenseur de ces «petites gens», face à son rival déclaré, Joao Doria, gouverneur de Sao Paulo, homme d’affaires multimillionnaire, chantre de la libre entreprises, lui aussi, qui s’est donné pour objectif de séduire ces déçus du «bolsonarisme».
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