«Je n’aurais jamais pensé demander une augmentation des prix du pétrole», a dit Donald Trump effrayé de son audace. Désormais, il le demande, et pour certains il l’exige, afin de soutenir l’industrie américaine de l’or noir en souffrance.
Par Hassen Zenati
Fin mars, le pétrole a touché le fond avec un baril à moins de 20 dollars, son plus bas niveau depuis 2002, contre plus de 60 dollars il y a deux mois à peine. Il était pris en tenailles entre la nouvelle stratégie de la Russie consistant à scier la planche sous les pieds des producteurs de pétrole de schiste américains en tirant les prix vers le bas, et la brutale réaction de l’Arabie Saoudite, qui a déclaré une guerre des prix générale et sauvage pour «punir» Moscou d’avoir refusé de souscrire à sa politique de réduction de la production en même temps que l’Opep, dont la Russie ne fait partie, tout en étant jusque là un compagnon de route. S’y sont ajoutés les effets pervers de la pandémie du Covid-19, qui ont figé l’économie mondiale, provoquant l’assèchement de la demande devant une offre devenue pléthorique.
Une baisse située entre 15 et 20 millions de barils par jour
À la fin de la semaine dernière, le journal des milieux d’affaires américains, ‘‘Wall Street Journal’’, tirait la sonnette d’alarme : partout dans le monde, hors Chine, dont l’économie commence à reprendre prudemment, les réserves sont pleines et les capacités de stockage saturées. Des traders signalaient qu’au lieu de fermer des puits, qui seraient très coûteux de remettre ensuite en production, l’Aramco saoudienne était prête à vendre à perte pour ne pas perdre la face devant la Russie. La demande mondiale avait reculé de 4,2 millions de barils en février, selon les indications de l’Agence internationale à l’énergie. Depuis, avec les mesures de confinement généralisées en Europe et aux Etats-Unis, la baisse pourrait de situer entre 15 et 20 millions de barils par jour, soit une chute de 15 à 20% par rapport à 2019.
Au total, en quelques semaines, le bras de fer entre Riyad et Moscou aura fait des dégâts considérables dans les budgets des pays exportateurs de l’Opep, mais aussi dans celui des compagnies pétrolières internationales, à leur tête les compagnies américaines, et parmi les producteurs de pétrole de schiste, encore plus fragiles, qui se préparaient à une véritable hécatombe ces derniers jours. À moins de 30 dollars le baril, ils n’ont aucune chance de survivre, disent les analystes, dont certains situent même ce plancher à 50 dollars le baril.
C’est dans ce contexte que le président américain Donald Trump, pris de court par la rapide tournure des événements, s’est décidé à demander un armistice, en appelant lundi 30 mars 2020 le président russe Vladimir Poutine. Objectif : stabiliser le marché pétrolier et œuvrer pour une remontée des prix pour venir au secours des producteurs américains. Les deux chefs d’Etat ont confié à leurs experts le soin d’en discuter les modalités, en attendant une éventuelle conférence ministérielle. L’information a redonné des couleurs aux bourses mondiales qui suivaient avec anxiété les péripéties du champ de bataille.
Guerre des prix du pétrole doublée de la pandémie du Covid-19
Les signes avant-coureurs d’une intervention américaine étaient apparus à la veille du G-20, présidé par le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane, lorsque le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo, quasiment sur le ton de la sommation, lui avait demandé «d’être à la hauteur des enjeux», dans une conjoncture mondiale fortement déprimée.
Depuis plusieurs jours, les conseillers américains à l’énergie, déploraient la «folle guerre des prix» menaçant la rentabilité des producteurs américains, qui risquaient de se retrouver à court d’investissements si cette guerre devait se poursuivre avec une telle violence. «Je n’aurais jamais pensé dire qu’il nous fallait une augmentation du prix du pétrole, mais c’est le cas», a déclaré le président américain quelque peu désarçonné à la télévision.
Les États-Unis sont devenus depuis 2018 le premier producteur mondial de pétrole devant l’Arabie Saoudite, grâce à l’essor de l’exploitation des sols de schiste. Pour la Maison Blanche, il est impératif de tenir compte des intérêts du puissant lobby pétrolier américain à quelques encablures d’une élection présidentielle qui s’annonçait facile pour Donald Trump, mais qui s’est révélée de plus en compliquée avec la guerre des prix du pétrole doublée de la pandémie du Covid19. Il lui faut en même temps tenir compte des réactions du consommateur américain, qui avait bien accueilli la baisse des prix du carburant à la pompe et attendait plus de la «guerre des prix» en cours. L’essence s’écoulait ces derniers jours moins d’un dollar le gallon aux Etats-Unis, du pain bénit pour les automobilistes fuyant le confinement. C’est à la recherche de cet équilibre subtil entre intérêts contradictoires, auxquels il est également sensible électoralement parlant, que Donald Trump s’est décidé à appeler Vladimir Poutine à une trêve que son allié saoudien ne peut refuser, de son point de vue.
Avenir incertain pour les producteurs et pour la demande mondiale
Pour les producteurs de l’Opep, la rupture de l’alliance entre l’Arabie saoudite et la Russie, connue sous le nom d’Opep+, qui visait à maintenir le prix du baril à 60 dollars sur le long terme, ne peut être que dévastatrice. Elle implique des ajustements budgétaires douloureux et le report de projets d’investissements, au moment où la pandémie qui les frappe s’avère forte consommatrice de cash.
Parmi d’autres, l’Algérie a immédiatement ordonné la révision de ses dépenses budgétaires pour y faire face. La compagnie pétrolière nationale Sonatrach a ainsi annoncé des coupes claires dans ses divers budgets. Le groupe compte réduire de 50% son budget pour 2020 et reporter les projets qui ne revêtent pas un caractère urgent, selon son Pdg Toufik Hakkar. Il table sur une économie de 7 milliards de dollars, soit la moitié du budget d’investissement et de recrutement pour 2020.
Mais l’avenir restera incertain pour les producteurs tant que la demande mondiale de pétrole ne se sera pas redressée, à la fin de la crise sanitaire. Autant dire que le temps risque de paraître très long pour tous ces pays pris à la gorge par des dépenses sociales contraintes, difficiles à différer. Alger, qui assure la présidence tournante de l’Opep et Bagdad souhaitent une réunion urgente des experts de l’organisation pour évaluer la situation du marché pétrolier au vu de la rapide dégradation des prix. Alors que l’Arabie saoudite menaçait lundi soir d’ouvrir les vannes encore plus largement pour porter ses exportations au niveau record de 10,6 millions de barils par jour à partir de mai, et précipiter davantage les prix, les pays de l’Opep et des pays non-membres, notamment la Russie, souhaitent se réunir dès que possible à Vienne, siège de l’organisation, pour définir une politique commune si celle-ci est encore possible.
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