À l’issue de tractations serrées, les pays de l’OPEP+ ont convenu, sous la supervision de Donald Trump, d’une réduction de dix millions de baril/jour de leur production, ouvrant la voie à une remontée des prix du pétrole. Mais l’équilibre du marché n’est pas pour demain.
Par Hassen Zenati
L’accord a été long à se dessiner. Plusieurs jours durant, depuis la fin du weekend dernier, les principaux protagonistes du bras de fer inédit sur les prix du pétrole : l’Arabie saoudite d’un côté et la Russie de l’autre, se sont livrés à un poker menteur qui a mis à vif les nerfs des opérateurs du marché. Sensibles à la moindre rumeur, les prix ont ainsi joué aux montagnes russes, mais avec néanmoins une légère tendance à la hausse indiquant entre les lignes que l’espoir était encore permis.
L’effondrement des prix du lundi, à la suite de la décision inattendue de reporter la réunion de l’Opep+, a été suivi d’une timide reprise les jours suivants, alimentée par des déclarations optimistes de Donald Trump, indiquant que Riyad et Moscou, deux des trois premiers producteurs mondiaux, étaient biens sur la voie d’un accord.
Finalement, ce dernier a été rendu public jeudi tard dans la soirée : les pays producteurs ont décidé une baisse de leur production de dix millions de barils par jour, soit 10% de l’offre mondiale, devenue pléthorique depuis que le coronavirus, figeant l’économie mondiale, a mis un brutal coup d’arrêt à la demande de pétrole, celle venant de Chine en particulier. L’objectif des producteurs est maintenant d’enrayer la chute vertigineuse des prix, qui avaient atteint leur plus bas depuis 18 ans, à 20-25 dollars le baril. En quelques semaines, depuis janvier, le recul a été de 55% au moins.
Donald Trump joue sa réélection en novembre prochain
La crise s’est nouée lorsque la Russie, agacée par la montée en puissance des producteurs américains de pétrole de schiste, a décidé, sans prévenir, de se dissocier de la décision de l’Opep de réduire sa production pour soutenir les prix sur le marché face à une demande en chute libre dans le sillage de la panne de l’économie mondiale. Pour Moscou, la réduction de la production et son pendant mécanique, la hausse du prix, ne pouvaient qu’avantager les producteurs américains de pétrole de schiste, en souffrance, au détriment des producteurs de pétrole conventionnel de l’Opep.
Pour Donald Trump, la manœuvre russe, en nuisant aux producteurs américains, figurant parmi ses plus fervents soutiens électoraux, était synonyme de catastrophe pour sa candidature en novembre pour un second mandat présidentiel. Il a aussitôt mis tout son poids dans la balance pour amener l’Arabie Saoudite, qui n’avait rien à y gagner et plutôt tout à perdre, à organiser la contre-offensive en déclenchant une guerre des prix dévastatrice grâce à une large ouverture des vannes.
Obsédé par la poussée iranienne au Proche-Orient et au Yémen, où il est mis en échec par les Houthis, alliés de Téhéran, le prince-héritier Mohammed Ben Salmane s’est même dit prêt à aller plus loin encore à partir de début mai, pour prêter main forte au locataire de la Maison Blanche, et s’assurer ainsi de son soutien.
La crise s’est dénouée aussi rapidement qu’elle s’est nouée, à la suite d’un «coup de fil» direct entre Donald Trump et Vladimir Poutine. Il a permis à ce dernier de reprendre à son avantage le dialogue interrompu avec Washington depuis la guerre d’Ukraine, suivie de sanctions douloureuses contre son pays. Les deux dirigeants ont joué «gagnant-gagnant» sur le dos de Mohammed Ben Salmane, qui a sans doute beaucoup à apprendre encore des règles du «grand jeu» sur l’arène internationale.
La baisse de la production va juste freiner la chute des prix
L’accord de jeudi est valable pour deux mois, à la suite desquels la réduction sera portée à 8 millions de barils/jour jusqu’en décembre 2020, puis à 6 millions de barils/jour de janvier 2021 à avril 2022. Entre-temps, espèrent les producteurs, les multiples plans de relance massive de l’économie mondiale auront fait leur effet sur la demande et contribué au rééquilibrage du marché.
En réalité, la diminution annoncée de la production, aussi spectaculaire soit-elle, va juste permettre de freiner la chute des prix, en évitant le bradage de la production. La panne économique mondiale a en effet provoqué une chute de 30% au moins de la demande, soit environ 30 millions de barils/jour. Le marché est toujours en surproduction. Des pétroliers désemparés cherchent à stocker un peu partout leur or noir. Mais, les moyens de stockage ayant été saturés, certains producteurs, notamment l’Aramco saoudienne, ont été réduits ces derniers jours à céder leur production à des prix négatifs, en perdant de l’argent, pour ne pas avoir à fermer des puits, ce qui aurait coûté encore plus cher. Pour Riyad, notamment, c’est l’arroseur arrosé.
Seul le Mexique a annoncé qu’il ne souscrivait pas à la démarche de l’Opep+, tandis que les Etats-Unis, qui n’étaient pas partie de la négociation, tout en la suivant attentivement, même de loin, ont refusé de s’associer à la réduction de la production. Donald Trump a argué du fait que la production américaine a déjà beaucoup reculé et qu’il ne pouvait encourager les producteurs à faire plus.
En fait le grand vainqueur de cette passe d’armes reste sans doute Donald Trump. Il a bien manœuvré par Arabie Saoudite interposée, pour faire monter les prix à un niveau compatible avec le maintien en vie d’un très grand nombre de producteurs américains menacés de faillite imminente. À 20 dollars le baril, c’était l’hécatombe certaine, avec ses conséquences sociales et politiques inéluctables, à 40 dollars le baril, selon les projections vers lesquels on se dirige désormais à court terme, la majorité des producteurs pourront reprendre leur souffle et garder la tête hors de l’eau. C’est tout bénéfice pour sa candidature auprès de ces sponsors savent se montrer généreux.
Franchir le cap difficile de la pandémie du Covid-19
Sur le plan diplomatique, le président américain a par ailleurs resserré d’un cran son étreinte sur l’Arabie saoudite, en lui faisant jouer le rôle de boutoir contre la Russie. Il l’a ainsi contrainte à rompre le consensus conclu à Alger en 2016, et qui devait faire de Moscou un «compagnon de route» stable de l’Opep. Cela ne sera pas sans effet sur la politique générale des trois pays au Proche-Orient.
Les autres producteurs de l’Opep, littéralement étranglés par le plongeon des prix ces dernières semaines, escomptent un bol d’oxygène qui leur permettra de franchir au moins le cap difficile de la pandémie du Covid-19, qui leur impose des dépenses inattendues alors que leurs seules recettes externes leur viennent des hydrocarbures. Plusieurs ont déjà annoncé des coupes claires dans leur budget 2020 à peine mis en application.
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