La contribution des cliniques privées à la lutte contre la pandémie du coronavirus (Covid-19) fait débat et n’est pas exempte d’arrière-pensées financières et dans ce jeu de dupes, c’est le citoyen crédule, qui face à la maladie, se retrouve, au bout du parcours, confronté seul à la réalité crue des faits…
Par Dr Mounir Hanablia *
Je doute que beaucoup de personnes aient vu le film datant des années 60 de François Truffaut, traitant de la délinquance juvénile, ‘‘Les 400 coups’’. Une scène m’en était restée en mémoire, celle de ces lycéens en tenue de sport traversant en petites foulées les rues de Paris derrière leur professeur, et au rythme de son sifflet. Á chaque coin de rue, le groupe s’amenuisait, et quand le professeur atteignait le terrain de sport, le sifflet toujours à la bouche, et se retournait, il ne trouvait plus personne.
C’est un peu ce qui s’est passé avec l’incident des 400 lits de réanimation des cliniques privées, dont on nous avait annoncé, comme étant une manifestation de patriotisme, la mise à la disposition en faveur du ministère de la Santé publique, afin de résoudre le problème du manque de lits de réanimation au sein de l’hôpital public, dans la perspective d’un afflux de malades frappés par le Covid-19. Et le ministère de la Santé avait, il faut le dire, comptabilisé la totalité des lits de réanimation du secteur privé (estimé à 1000) afin de rassurer l’opinion publique sur la capacité de l’Etat à prendre en charge les formes graves de l’épidémie.
Des informations récentes relayées par des chaînes de radio privées avaient cependant tempéré quelque peu cet optimisme prématuré lorsque des familles de patients s’étaient plaintes de s’être vues exiger préalablement aux soins des sommes de 20.000 dinars, ainsi que cela s’était toujours fait dans les cliniques privées pour les patients de réanimation.
Majoration du coût des soins au sein des cliniques privées
Le président du Syndicat des propriétaires de cliniques privées a bien entendu justifié ces exigences financières, en tant que garanties, légitimes et nécessaires, de recouvrement des frais que les soins des patients occasionneraient, au moment même où beaucoup d’établissements privés étaient obligés de mettre la clé sous le paillasson en attendant des jours meilleurs, et il a mis sur le compte de la hausse du prix d’achat des produits médicaux et pharmaceutiques la récente majoration du coût des soins au sein des cliniques.
Appelé alors à expliquer la nature et l’utilité de l’accord conclu relativement aux lits de réanimation mis à la disposition des patients de l’hôpital public, il a démenti qu’un tel accord eût eu lieu, malgré sa proposition en ce sens adressée au ministère de la Santé, et un certain nombre d’entrevues, auxquelles il n’aurait pas été donné suite par ses interlocuteurs. Et une fois encore, le patron des patrons de cliniques, qui a dénoncé la campagne calomnieuse dont son secteur serait régulièrement la victime et protesté de son patriotisme, qui se traduirait dans le renoncement des cliniques pour les patients atteints de Covid-19 à facturer des frais autres que ceux des produits médicaux et pharmaceutiques consommables.
Eu égard à ces éclaircissements, qui sont bien entendu justifiés par la nécessité pour des établissements soumis à des contraintes financières lourdes et impérieuses, de s’entourer de toutes les garanties de recouvrement possibles, et nonobstant le cas épineux de la non-assistance à personne en danger, qu’aucune des parties n’a paru désireuse d’aborder (ce n’est pas le moment), il apparaît évidemment qu’autant les médias que le ministère de la Santé ou le Syndicat des cliniques privées, aient donné une idée fausse de la situation ayant trait à la sécurité sanitaire de l’homme commun, induisant en erreur une opinion publique dont la collaboration dans la lutte contre le virus est cruciale, dans une situation où justement il aurait été dans l’intérêt de toutes les parties de lui inspirer la confiance nécessaire.
Si tant est qu’il faille chercher la partie à qui la désinformation profitât, force est d’admettre que le ministère de la Santé devait trouver une solution au manque crucial de lits de réanimation dans les structures publiques, pour rassurer, et que les cliniques privées, éternellement accusées d’avoir bâti leur empire sur le tombeau de l’hôpital public et la déconfiture financière des malades, avaient une occasion unique de faire étalage de patriotisme.
L’autorité publique doit-elle procéder à la réquisition pour nécessité urgente ?
Il est apparu pourtant que l’urgence de la situation n’avait pas pu amener les deux parties à conclure un accord, si tant est qu’une telle volonté eût réellement existé, pour des raisons que le Dr Boubaker Zakhama a déclaré ignorer, et on s’en est bien rendu compte lorsqu’une circulaire du ministère datant d’environ une semaine eût interdit aux hôpitaux publics l’admission de patients en provenance de centres privés.
Mais force est de constater que les établissements publics demeurant pour le moment largement désertés, malgré la recrudescence de l’épidémie, le ministère n’a sans doute pas éprouvé le besoin pour le moment de recourir à la collaboration du secteur privé, pour peu que le cadre juridique d’une telle collaboration existât vraiment, ce qui serait douteux.
Or, en temps de crise majeure, l’autorité publique peut simplement procéder à la réquisition de toute structure pour faire face à des nécessités immédiates, quitte à en rembourser ultérieurement les propriétaires, évidemment à des conditions que ceux-ci n’auraient pas choisies.
Ceci expliquerait autant les réticences du ministère à conclure un accord qui lui lierait sans raisons les mains, que la proposition du Syndicat des cliniques, très certainement patriotique, mais néanmoins non dénuée d’arrière-pensées financières.
Dans tout cela, évidemment, encore victime des médias, qui ne prennent souvent pas la peine de vérifier la teneur des informations qui leur sont véhiculées, c’est le citoyen crédule, qui face à la maladie, se retrouve, au bout du parcours, confronté seul à la réalité crue des faits…
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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