Chargé par le ministre de la Fonction publique, de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption, Mohamed Abbou, de mener une enquête concernant la suspicion de corruption qui a accompagné la demande de confection de masques barrières réutilisables, le Haut comité de contrôle administratif a finalisé hier, lundi 27 avril 2020, son rapport de synthèse préliminaire. Une affaire qui n’en est pas une et qui aurait pu être évitée…
Par Cherif Ben Younès
Le rapport, qui a été soumis à la présidence du gouvernement et rendu public hier soir, fait état de dépassements aux procédures légales en vigueur, à l’instar de la présence de plusieurs commissions et de l’absence de détermination des responsabilités, ce qui a mené à la confusion et à de sérieux soupçons de corruption.
L’équipe d’inspection a, par ailleurs, indiqué que l’accord verbal qu’a passé le ministre de l’Industrie, Salah Ben Youssef, avec l’un des fournisseurs (par allusion au député Jalel Zayati, ndlr), pour accélérer la confection de 2 millions de bavettes réutilisables en un délai d’un mois, «était contraire aux règles régissant les achats et les commandes publics, et surtout la concurrence, la transparence et l’égalité».
Un député ne peut pas conclure un deal commercial avec l’Etat
D’autant plus que cette demande a conduit, selon le rapport, à des soupçons de conflit d’intérêts vu que le fournisseur en question était un député et que l’article 20 de la loi 46 de 2018, ainsi que l’article 25 du règlement interne de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), interdisent aux élus du peuple de conclure des deals commerciaux avec l’Etat.
«La confirmation de l’existence de preuves sérieuses sur la suspicion de fuite d’une information précieuse est due à la négociation qui a fait l’objet d’un appel téléphonique entre le ministre et le fournisseur. Une négocation à travers laquelle ce dernier a pris connaissance des exigences techniques et du prix [des bavettes] de manière proactive (3 jours avant d’être fixé par le comité technique), ce qui lui a permis d’acheter de grandes quantités de tissu et de contacter les petits industriels dans le domaine de la confection pour produire, à son propre compte, ces bavettes», lit-on également dans le document.
Le ministère de l’Industrie a, par ailleurs, pris des décisions qui ne font pas partie de ses prérogatives. En effet, l’équipe d’inspection a soulevé que la Pharmacie centrale n’a pas été directement chargée de piloter l’opération demandée, alors qu’en vertu de l’accord initial, c’est elle qui est l’acheteur public.
Le rapport a, finalement, présenté 6 recommandations dans le but de rectifier les violations observées. Ainsi, il a préconisé d’élargir les responsabilités de la Pharmacie centrale dans ce dossier, d’informer l’opinion publique du processus d’achat des masques en question, de charger un comité restreint au sein du ministère de la Santé ou de celui de l’Industrie de suivre l’opération d’approvisionnement de la Pharmacie centrale en bavettes.
L’urgence ne doit pas justifier l’improvisation
Rappelons que dans le cadre de la lute nationale contre le coronavirus, le gouvernement tunisien s’est fixé pour objectif d’assurer une production nationale de 30 millions des bavettes de protection, dont 2 millions de façon urgente.
Cette opération est d’autant plus pressante que le gouvernement s’apprête à annoncer le début du dé-confinement progressif ou ciblé (par région, secteur ou catégorie de population) à partir du 4 mai prochain et que, dans cette optique, le port du masque de protection sur les lieux publics va être décrété obligatoire, afin d’éviter une seconde vague de contamination que le système national de santé aura du mal à gérer, ses capacités en lits de réanimation étant très limitées.
Cependant, cette urgence sanitaire ne saurait justifier les facilités prises avec les règles de gestion des affaires publiques. La leçon à tirer de cette affaire est la suivante : il faut faire vite, certes, mais dans le respect strict de formes. Le ministre et le député en ont fait l’expérience à leurs dépens.
Heureusement que dans cette affaire, il n’y a pas eu de commande ferme et encore moins un contrat écrit, mais un simple accord verbal passé par… téléphone.
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