La crise sanitaire induite par la pandémie du coronavirus (Covid-19) a aggravé les carences, déjà criardes, dont souffre la Tunisie, un pays où la démocratie formelle est en passe de devenir synonyme d’incompétence, d’incurie et de course effrénée vers la faillite, sous la conduite d’Ennahdha, un parti soucieux de ses seuls privilèges.
Par Salah El-Gharbi *
Pour lutter contre la pandémie du coronavirus, notre pays est entré, depuis le mois le 22 mars 2020, dans un confinement général, mettant sous cloche une bonne partie de la population. Depuis, tout est resté en suspens, y compris le paiement de toutes sortes de redevances dues à l’État. Ainsi, à titre d’exemple, les automobilistes étaient, provisoirement, dispensés de payer la vignette auto et même la prime d’assurance, ou de se soumettre au contrôle de la visite technique.
L’annonce du «confinement ciblé» ou «dé-confinement partiel» et de la reprise de la plupart des services administratifs vient susciter un profond soulagement auprès d’une population frustrée par des semaines de paralysie presque générale et impatiente de vaquer à ses occupations de la «vie d’avant».
Les tribulations d’Ali, un citoyen au dessus de tout soupçon
Lundi 4 mai, premier jour de délivrance, Ali décide d’en profiter en allant s’acquitter de quelques obligations restées en instance. Tôt le matin, il s’empresse chez assureur pour régulariser sa situation. Mais comme sa déception va être grande quand ce dernier lui rappelle qu’il doit «d’abord, payer la vignette !», avant d’ajouter, après avoir regardé la carte grise : «votre numéro de matricule se termine par 5, donc, selon le calendrier du ministère des Finances, votre tour pour payer la vignette est prévu pour le mercredi 6 mai».
Résigné, Ali rentre chez lui bredouille, mais toujours, animé par l’espoir que tout sera réglé le jour indiqué. Le mercredi, il se lève de bonne heure et, après avoir consulté le portail du ministère des Finances pour s’assurer que la recette la plus proche de chez lui, celle de Raoued, est «en service» à partir de 8h30 jusqu’à 16h, il quitte sa maison.
Arrivé sur les lieux vers 8h, il est surpris de trouver sur place un petit groupe de gens, aussi obstinés que lui, qui attendent stoïquement, sous un soleil peu clément, l’ouverture du bureau des recettes de finances. Plus les minutes passent, plus l’attroupement s’élargit et plus l’impatience des gens s’exacerbe. L’interrogation se lit sur tous les visages. Partagés entre l’agacement et l’incompréhension, l’indignation et la colère, toutes ces personnes n’arrivent pas à comprendre pourquoi les portes noires sont fermées alors que l’heure de l’ouverture est déjà passée.
«Pourquoi ce mépris ?», demande une jeune femme, l’air inquiet, pressée de vaquer à ses affaires. Aussitôt, comme s’il était attendri par le ton plaintif de la femme, un homme s’approche d’une des fenêtres du bâtiment administratif et s’adresse à un gardien confiné à l’intérieur. Après un court échange, il se tourne vers la petite foule pour lui annoncer la fâcheuse sentence : «Le bureau ouvrira ses portes le 11 mai».
Et Ali rentre chez lui, animé par un sentiment indescriptible, mélange de dégoût et de ressentiment. Une question l’obsède : Pourquoi ? Pourquoi ? D’autant plus qu’il ne s’agit pas de recevoir des dons publics, mais, plutôt de contribuer à renflouer les caisses d’un État qu’on dit «en faillite»!
Y a-t-il un pilote dans l’avion ?
Ces faits, aussi anecdotiques soient-ils, sont pleins de sens. Car, ils traduisent le degré d’amateurisme de nos responsables politiques au pouvoir et de la faillite de l’autorité de l’État. «Où est le gouvernement ?», comme disait, en 2012, un ancien chef de gouvernement, l’islamiste Hamadi Jebali. Partout et nulle part. «Y a-t-il un pilote dans l’avion ?». Aujourd’hui, le doute n’a jamais été aussi légitime.
Le navire gouvernemental tangue. Et le quinquennat s’annonce pire que le précédent dans un pays exténué, gravement malade de sa nouvelle classe politique, chez qui l’incompétence rivalise avec la cupidité et l’arrogance avec la fatuité.
Ainsi, depuis des semaines, on assiste à spectacle désolant, celui qui donne à voir des responsables qui ne font que gesticuler fébrilement, faire les fanfarons sur les plateaux de télévision, nous bassiner avec des promesses peu crédibles.
Dans le pays de l’esbroufe où l’on se targue d’être les «champions de la démocratie», dans sa version arabe, ceux qui sont censés apporter des solutions à une population à bout de souffle, deviennent le problème.
De ce fait, depuis, des mois, la situation économique et sociale, déjà alarmante, devient explosive, faisant, ainsi, le lit des nostalgiques, ceux du «c’était mieux avant». Et le problème, c’est que cela est en partie vrai. Car, pour beaucoup de citoyens, la vie était beaucoup mieux sur les aspects les plus essentiels, économiques et sociaux.
Le drame, c’est qu’au moment où la population a besoin de réponses urgentes pour redresser le pays, au sommet de l’État, la compétition entre les clans politiques est rude, chacun cherchant à élargir son territoire, au détriment de l’autre, à «briller» sans éclats, à «rayonner» sans gloire…
Ennahdha casse tout sur son passage
Si, depuis les dernières élections, la situation ne fait que se dégrader, c’est à cause de la désinvolture du parti le plus puissant au pouvoir, en l’occurrence Ennahdha, dont les dirigeants, en attendant le 11e congrès, semblent plus préoccupés, en interne, par la conquête des positions au sein du mouvement que par la gestion des affaires du pays.
Pour consolider ses assises et affirmer son autorité, l’équipe actuelle à la tête de ce mouvement, par cynisme ou par opportunisme, ne lésine pas sur les moyens. Ainsi, ces islamistes sont prêts à tout afin d’affaiblir leurs adversaires politiques, dont certains sont supposés être leurs propres «alliés» au sein même du gouvernement, de décrédibiliser, indirectement, leurs faux-vrais amis de Qalb Tounès, tout en jouant les agacés face à leurs frères-ennemis, du Destourien libre, et ce, au détriment des intérêts impérieux de la nation.
Arrogant, n’ayant pas bien assimilé la leçon de son échec lors de son passage catastrophique de 2012-2014, le mouvement Ennahdha s’obstine et persiste dans son aveuglement. Ses cadres se complaisent, ainsi, dans une attitude d’autosatisfaction et se comportent comme des adolescents politiques. Ils aiment le pouvoir mais ils ne veulent pas assumer tout ce qu’il comporte d’exigences, de contraintes, voire même de sacrifices. Ils raffolent des prestiges et des honneurs sans posséder les qualités requises pour les mériter.
Grisés par une puissance politique, somme toute aléatoire et due principalement à la division de leurs adversaires, les islamistes, tels des autistes, sont dans leur petite bulle, à l’écoute de l’écho de leur propre délire. Sont-ils capables de mûrir, un jour, de comprendre que gouverner exige beaucoup d’humilité et beaucoup de rigueur ? Ces machiavéliques, sauront-ils, un jour, qu’en politique l’état de grâce ne dure jamais trop longtemps et que faute de résultats palpables, ils finiront dans la poubelle de l’Histoire?
Pour l’instant, rien ne semble présumer de la possibilité d’une telle mutation. Patience ! Laissons du temps au temps ! Qui sait ?
* Universitaire et écrivain.
Donnez votre avis