Après dix huit mois de rudes tractations et trois scrutins consécutifs, Israël s’est doté d’un gouvernement pléthorique à deux têtes, dont l’objectif principal reste la poursuite du grignotage méthodique de la terre palestinienne.
Par Hassen Zenati
La classe politique d’Israël en lambeaux a mis cinq cent jours pour constituer un nouveau gouvernement, à l’issue de trois scrutins tumultueux, qui auraient pu être suivis d’un quatrième si l’un des principaux protagonistes, le général Benny Gantz, de guerre lasse, ne s’est pas finalement plié à la volonté de son rival retors Benyamin Netanyahu, alias Bibi, accroché au pouvoir comme une moule à son rocher.
Une alliance improbable et fragile
En raison d’un mode de scrutin unique au monde, à la proportionnelle intégrale et une seule circonscription couvrant la totalité du territoire, «la seule démocratie du Proche-Orient», selon ses thuriféraires occidentaux, sans constitution ni frontières définies, reste l’otage de ses minorités parlementaires. La formation de toute majorité de gouvernement reste en effet tributaire de l’appoint des partis ultra-religieux, ultra-minoritaires. Ils marchandent âprement chacune de leur voix contre des maroquins stratégiques, de leur point de vue, avant de voter l’investiture.
L’alliance improbable et fragile de Benyamin Netanyahu, 71 ans, idole du Likoud et de l’extrême droite, et Benny Gantz, 61 ans, général à la retraite, ancien chef d’état-major, à la tête d’une coalition «Bleu-Blanc» se présentant comme une formation centriste, a mis beaucoup de temps à se dessiner. Elle bénéficie de l’appoint d’un Parti Travailliste laminé, qui n’a pu arracher que quelques sièges au dernier scrutin, après avoir dominé des décennies durant de la tête au pied la vie politique israélienne.
La plus longue crise politique que le pays ait jamais connue se solde par la formation d’un gouvernement pléthorique à deux têtes de 35 ministres et 16 vice-ministres. Il sera dirigé alternativement par Benyamin Netanyahu, qui doit remettre ensuite les rênes à Benny Gantz, dans dix huit mois, à partir du 17 novembre 2021. Ce dernier occupera dans l’intervalle le ministère de la Défense, ce qui en fera de fait le Premier ministre bis. «La population veut un gouvernement d’unité, et c’est ce qu’elle obtient aujourd’hui», a affirmé Netanyahou dimanche, très sûr de lui, alors qu’une partie de la population est indignée de le voir rempiler malgré une réputation exécrable.
Un gouvernement d’union obtenu grâce au Covid-19
Ce gouvernement dit d’union, en trompe l’œil, reste placé sous la haute surveillance de l’extrême droite et des partis ultra-orthodoxes, qui guetteront le moindre faux pas pour tenter de le renverser, estiment les analystes. Le Likoud qui a obtenu le plus grand nombre de sièges aux dernières législatives, doit toujours compter avec le soutien d’élus de la droite extrême et des partis religieux ultra-orthodoxes. En outre, il ne manque pas de motifs de rupture entre les deux partenaires contraints à cohabiter par le président de l’Etat pour sortir le pays de l’ornière. Benny Gantz avait centré ses trois campagnes électorales successives sur le rejet de Benyamin Netanyahu, qu’il jugeait «excessif et corrompu», proclamant qu’il ne gouvernerait jamais avec lui. Il s’est ensuite ravisé en invoquant l’urgence de la lutte commune contre la pandémie du coronavirus.
Le premier obstacle que doit surmonter la nouvelle formation gouvernementale est la comparution de son chef devant ses juges à partir du 24 mai. Benyamin Netanyahu, qui a échappé de justesse à une procédure de destitution au Parlement grâce à l’accord de gouvernement scellé avec Benny Gantz, est toujours impliqué dans trois procédures judiciaires pour corruption, abus de confiance et fraude. Il encourt jusqu’à dix ans de prison, mais il ne cesse de clamer son innocence en se disant victime d’un complot médiatique et judiciaire. Son épouse Sara l’avait précédé devant les juges, qui l’ont condamnée à 2.500 euros d’amende et au remboursement de 11.000 euros pour mauvais usage de fonds publics.
Le taux de chômage a bondi de 3,4 à 27%
Dans les mois qui viennent, s’il échappe aux turbulences judiciaires qui accablent son chef, le gouvernement doit affronter d’urgence la pandémie du coronavirus, qui a fait, selon les chiffres officiels, 272 morts et contaminé 16.500 personnes. C’est l’unique sujet d’accord entre ses deux principales composantes. Le pays qui a entamé son dé-confinement a rouvert la majorité de ses écoles et de ses commerces, tout en maintenant l’obligation du port du masque, mais il doit remettre sur les rails une économie, dont le taux de chômage a bondi de 3,4 à 27% (1 million de sans emploi) après le confinement de la population. Il n’est pas non plus à l’abri d’une seconde vague de contamination.
Mais la principale pomme de discorde entre les deux têtes de l’exécutif, qui «continuent à se détester et ne se font pas confiance», selon leurs proches, porte sur le projet de Benyamin Netanyahu, qu’il doit présenter en juillet au Conseil des ministres, d’annexer de nouveaux pans de la Cisjordanie, soit les colonies juives déjà implantées illégalement dans la région et une partie de la vallée du Jourdain. Le projet effacerait ainsi la ligne de démarcation de 1948 entre Palestiniens et Israéliens, et enterrerait définitivement le projet d’une solution à deux Etats en Palestine, espèrent ses promoteurs. Cette solution a du plomb dans l’aile depuis plusieurs années.
Gantz reste opposé à l’annexion des territoires palestiniens
Pendant la dernière décennie, la population des colonies juives en Cisjordanie a bondi de 50%. Elle dépasse désormais les 450.000 habitants, qui vivent sous tensions face à plus de 2,7 millions de Palestiniens. «Ces territoires sont là où le peuple juif est né et a grandi. Il est temps d’écrire un nouveau chapitre glorieux dans l’histoire du sionisme», proclame Benyamin Netanyahu. En revanche, malgré son rapprochement de dernière minute de son rival, Benny Gantz, sur la même ligne qu’une bonne partie de l’establishment militaire, reste opposé à ce programme d’expansion territoriale. «Ne pensez pas que nous avons oublié l’annexion à cause du coronavirus. Nous avons l’intention de continuer à nous battre contre l’occupation», a-t-il prévenu.
L’Autorité palestinienne et la Jordanie ont rejeté fermement le projet, y voyant les germes d’une nouvelle confrontation régionale. L’Union Européenne menace de «sanctionner» Israël si Benyamin Netanyahu devait passer aux actes. Les Etats-Unis, qui ont apporté jusque-là un soutien inconditionnel à Tel-Aviv, restent circonspects. De passage il y a quelques jours en Israël, le secrétaire d’Etat Mike Pompeo a botté en touche, se contentant de se féliciter «chaleureusement» de la formation d’un gouvernement d’union après dix huit mois d’impasse politique
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