Et si la population tunisienne était déjà, en quelque sorte, «vaccinée» contre la Covid-19 et qu’elle a atteint, d’une certaine façon, la fameuse immunité collective ? La question peut surprendre, mais elle n’est pas aussi saugrenue qu’on le pense.
Par Pr Faouzi Addad *
Tous les indicateurs de la pandémie de la Covid-19 en Tunisie sont plutôt au vert, le nombre de décès de patients en réanimation, ou celui de nouvelles personnes contaminées n’augmentent pratiquement plus depuis plus de 3 semaines.
Les mesures prises dans notre pays lors des 3 jours de fête de l’Aïd El-Fitr sont venues consolider ces bons résultats et l’épidémie donne déjà l’impression d’être derrière nous, en tout cas dans sa première vague, car la fin de la partie dépend encore du comportement du virus à l’échelle mondiale.
Mieux encore, aucun signe d’une réelle deuxième vague n’a été constaté, à ce jour, dans tous les pays qui ont dé-confiné depuis une, deux ou même trois semaines.
Le confinement total peine à prouver scientifiquement son bénéfice
La Tunisie a-t-elle été «miraculeusement» épargnée? Pour certains, ce serait là le résultat des mesures de confinement mise en route très tôt. Mais s’il est incontestable que la distanciation sociale a été très bénéfique, le confinement total peine à prouver scientifiquement son bénéfice.
Pour preuve, la comparaison entre la Belgique, la Suède et les Pays-Bas, qui ont opté pour 3 stratégies différentes (confinement strict vs non-confinement vs confinement souple), a mis en évidence 2,5 fois plus de morts en Belgique qu’en Suède, laquelle a misé dès le début sur l’immunité collective. Le confinement souple, quant à lui, est devenu ni plus ni moins qu’un non-confinement.
En revanche, les conséquences économiques sont beaucoup plus désastreuses en cas de confinement total ou souple.
On peut dire, bien sûr, que nos mesures de confinement ont été plus précoces que dans certains pays européens. Mais on doit reconnaître aussi que ces mesures n’ont pas été réellement respectées, notamment dans les quartiers populaires où la promiscuité est restée grande.
À ce «miracle», si miracle il y a eu, d’autres explications sont donc nécessaires, car comment se fait-il, par exemple, qu’au tout début de l’épidémie, et avant même l’entrée en vigueur des mesures de confinement, le premier patient de Boumerdes (Mahdia) n’a contaminé que 2 personnes, alors qu’il a beaucoup bougé dans la région durant la semaine ayant précédé son dépistage positif?
La moitié de la population pourrait être immunisée contre la Covid-19 sans y avoir été exposée
L’explication viendrait peut-être de l’étude américaine publiée récemment dans la revue ‘‘Cell’’ et qui montre (à partir de prélèvements faits entre 2015 et 2018 sur 20 personnes) que 40 à 60% de la population pourrait être immunisée contre la Covid-19 sans y avoir été exposée. Des anticorps non spécifiques ont, en effet, été retrouvés sur ces personnes, et qui sont notamment dirigés contre les protéines S et M du coronavirus. Cela suppose l’existence d’une immunité croisée obtenue contre d’autres coronavirus ayant probablement circulé dans le passé sous la forme d’«un simple rhume».
Cette hypothèse mériterait d’être vérifiée par nos chercheurs car cela voudrait dire qu’une grande partie de la population tunisienne est déjà, en quelque sorte, «vaccinée» contre la Covid-19 et que nous avons atteint, d’une certaine façon, la fameuse immunité collective. C’est là, bien sûr, le scénario idéal. S’il est vérifié, il n’y aurait donc pas eu de «miracle tunisien», d’autant que d’autres pays du sud sont dans notre situation.
Bref, la Covid-19 est loin d’avoir livré tous ses mystères et les scientifiques en sont réduits à multiplier les hypothèses et, parfois, les supputations.
* Professeur en cardiologie.
Donnez votre avis