Pour un «missile», c’en est un, mais il s’agit d’un «missile» constitutionnel. Et on en trouve dans la Constitution tunisienne de 2014, que le président de la république Kaïs Saïed a brandie sur la tête de tous les acteurs de la scène politique, incapables d’assurer la stabilité au sein des institutions publiques, alors que le pays traverse «l’une des phases les plus périlleuses de son histoire», selon les termes même du chef de l’Etat.
Par Helal Jelali *
Quand on n’a pas de Cour Constitutionnelle, et c’est le cas de la Tunisie, les «missiles» politiques du président de la république Kaïs Saïed ne pourraient se trouver que dans l’article 80 de la Constitution tunisienne relatif à «l’état d’exception» qui permet de geler, non pas l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), mais tout vote ou adoption d’un texte législatif… L’ARP reste en session permanente durant l’état d’exception mais dans le «placard». Et c’est le président, en tant que magistrat suprême et chef des armées, symbole de la continuité de l’Etat et garant de sa pérennité, qui devient, à la fois, le métronome, l’arbitre et l’«administrator».
Voici le bijou constitutionnel auquel faisait allusion le chef de l’Etat hier, lundi 20 juillet 2020, dans l’allocution qu’il a fait, sur le ton sentencieux qu’on lui connaît, en recevant au Palais de Carthage le président de l’ARP, Rached Ghannouchi, son premier vice-président Samira Chaouachi et second vice-président, Tarek Fetiti, qui se sont montrés incapable de mettre de l’ordre dans un parlement transformé en une foire d’empoigne où la violence n’est plus que verbale.
On ne sait pas si le président Saïed ira jusqu’au bout de sa menace, car c’en est une, mais l’avertissement s’imposait et la descente en enfer des institutions ne pouvaient se poursuivre sans mettre en péril la nation tout entière.
Le «missile» est pour le moment juste verbal, mais on ne peut sérieusement écarter la perspective peu reluisante d’une activation de ce fameux article 80. Mais que dit-il exactement ?
«En cas de péril imminent menaçant l’intégrité nationale, la sécurité ou l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le président de la république peut prendre les mesures qu’impose l’état d’exception, après consultation du chef du gouvernement, du président de l’Assemblée des représentants du peuple et après en avoir informé le président de la Cour constitutionnelle. Il annonce ces mesures dans un message au peuple. Ces mesures doivent avoir pour objectif de garantir, dans les plus brefs délais, le retour au fonctionnement régulier des pouvoirs publics.
Durant cette période, l’Assemblée des représentants du peuple est considérée en état de session permanente. Dans cette situation, le président de la république ne peut dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple et il ne peut être présenté de motion de censure contre le gouvernement.
Trente jours après l’entrée en vigueur de ces mesures, et à tout moment par la suite, la Cour constitutionnelle peut être saisie, à la demande du président de l’Assemblée des représentants du peuple ou de trente de ses membres, pour statuer sur le maintien de l’état d’exception. La Cour prononce sa décision en audience publique dans un délai n’excédant pas quinze jours.
Ces mesures prennent fin dès la cessation de leurs motifs. Le président de la république adresse à ce sujet un message au peuple.»
* Ancien rédacteur en chef dans une radio internationale à Paris.
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