Après l’interminable et très orageux conflit entre Béji Caïd Essebsi et son chef de gouvernement Youssef Chahed , voici maintenant le conflit entre Kaïs Saïed et son tout nouveau chef de gouvernement Hichem Mechichi. Alors que ce nouveau gouvernement n’a même pas encore achevé son premier mois à la Kasbah que les scènes de ménage du couple exécutif se multiplient… et pendant ce temps là Tunisie trinque.
Par Imed Bahri
Qui connaissait Hichem Mechichi il y a encore quelques mois? Pas grand monde en tous cas à part quelques fonctionnaires et sa voisine d’Ezzahra Nadia Akacha. C’était encore un illustre inconnu. C’est grâce à la directrice de cabinet du président de la république qu’il connaîtra cette ascension fulgurante. Aussitôt nommée au Palais de Carthage, elle pensera à lui pour la remplacer dans le poste de conseiller juridique du président, poste que Nadia Akacha avait occupé durant les tous premiers mois de la présidence de Saïed. Mais son passage à ce poste sera éphémère, quelques jours à peine et l’heureux élu est imposé comme ministre de l’Intérieur dans le gouvernement Elyes Fakhfakh, Saïed voulait y placer une personne qu’il choisit lui-même dans ce poste très sensible et non pas un candidat proche de la partitocratie tunisienne, sa bête noire.
Une ascension plus fulgurante que celle de Ben Ali en 1987
Suite à la chute du gouvernement Fakhfakh et à la démission de son chef, M. Méchichi est chargé par M. Saïed de former le tout nouveau gouvernement. C’est une ascension fulgurante, plus fulgurante même que celle de Ben Ali en 1987. Espérons que la comparaison s’arrêtera là !
Les déboires et les scènes de ménage entre les deux têtes de l’exécutif, qui n’ont pas pris le temps de bien se jauger et se connaître, ne tarderont pas à commencer dès l’épisode de la formation du gouvernement. Toutefois, gardons toujours à l’esprit que M. Mechichi a été choisi par M. Saïed. Personne ne lui a forcé la main pour le nommer, personne! C’est lui qui l’a nommé et c’est la toute-puissante Nadia Akacha qui l’a propulsé dans la galaxie présidentielle et qui a favorisé sa nomination en tant que chef de gouvernement. Si donc M. Saïed regrette aujourd’hui ce choix, et on peut bien imaginer qu’il s’en mord le doigt, il ne peut en vouloir qu’à lui-même et à sa directrice de cabinet.
Aux humiliations succèderont les provocations
Maintenant, revenons à la série de couacs. Elle a commencé bien avant que M. Mechichi ne devienne chef de gouvernement. Dès l’épisode de la formation de celui-ci, une série d’humiliations dont certaines publiques sera infligée à M. Mechichi. D’abord, le président de la République qui, constitutionnellement, ne peut avoir son mot à dire que concernant les ministres des Affaires étrangères et de la Défense a eu, pour le moins que l’on puisse dire, un appétit vorace. Il a imposé son ami Taoufik Charfeddine au poste très important de ministre de l’Intérieur faisant fi de l’objection de M. Mechichi et de toutes les critiques à l’endroit de ce choix de copinage et du fait que le concerné ne disposait d’aucune connaissance de l’Etat et encore moins du très sensible ministère de l’Intérieur.
Ensuite la liste gouvernementale a été bidouillée; on se souvient du cafouillage ridicule relatif au changement du titulaire du ministère de l’Equipement, «l’épisode des deux Kamel». Et puis l’inoubliable «épisode Walid Zidi». Tout le monde se souvient qu’après l’annonce du gouvernement Mechichi, le mercredi 27 août, Walid Zidi a écrit, le soir même, sur Facebook, qu’il déclinait le poste de ministre de la Culture et qu’il préférait l’université et l’enseignement, pour se rétracter, un plus tard dans la nuit, sur les ondes de Mosaïque FM. Le lendemain, jeudi 28 août, et suite aux tergiversations de M. Zidi, M. Mechichi a annoncé le matin qu’il allait nommer une autre personne à sa place dans l’après-midi mais voilà que Kaïs Saïed court-circuite le chef de gouvernement désigné et invite Zidi au Palais de Carthage, le félicite de l’obtention de son doctorat, lui dit qu’il est certain qu’il fera un tes bon ministre de la Culture et qu’il sait qu’il est doté d’une vision pour ce secteur. Et la scène est filmée dans une vidéo et postée sur la page Facebook de la présidence de la République.
C’est là une humiliation publique infligée à Hichem Mechichi, qui n’a pas encore obtenu la confiance de l’Assemblée, qui plus est, devant toute la Tunisie. Le quadragénaire a ravalé sa colère et avalé la couleuvre mais il a déjà compris que la partie s’annonce compliquée et que le ménage exécutif avec Saïed sera tendu. Le lendemain, il demandera de voir M. Saïed, sans doute pour demander des explications, mais sa demande sera refusée. Quelques jours après, le gouvernement Mechichi obtient la confiance de l’ARP mais la relation entre les deux hommes était déjà cassée.
Premier jour à la Kasbah, Hichem Mechichi recevra à la Kasbah Nabil Karoui, qui incarne aux yeux de Saïed l’oligarchie affairiste corrompue à combattre. Le très taiseux Mechichi commence à se venger. Il faut dire qu’il n’a plus besoin de M. Saïed et ce grand adepte des limogeages brutaux et expéditifs ne pourra plus le limoger car seule l’Assemblée qui lui a accordé sa confiance peut la lui retirer.
Kaïs Saïed ne rongea pas ses freins pour autant et continua de plus belle. On se souvient de la savonnade du mercredi 23 septembre qu’il a faite subir à Hichem Mechichi durant laquelle il l’a critiqué sur l’augmentation des salaires des gouverneurs et les choix de conseillers ayant occupé des postes gouvernementaux et de conseillers sous l’ancien régime. Un sacrilège pour le révolutionnaire de la 25e heure qu’est Kaïs Saïed.
Bien entendu la scène humiliante fut enregistrée et postée comme toujours sur la page Facebook de la présidence de la République et, comme toujours, on n’entendit que la leçon de morale de M. Saïed et pas la réponse de M. Mechichi. Quand Dieu parle, on écoute et on se tait.
Vers une guerre ouverte entre la Kasbah et Carthage
Vendredi 25 septembre, le très taiseux, terne et pas du tout souriant M. Mechichi (ce qui n’est pas sans rappeler sa voisine d’Ezzahra Nadia Akacha) fait annoncer par ses services qu’il refusera désormais les vidéos «staliniennes» de Saïed. Et puis deuxième réponse cinglante du taiseux, mercredi 30 septembre, à l’ouverture du conseil des ministres, il exigera fermement que ces derniers demandent son autorisation avant de se rendre à une entrevue avec le président et qu’à l’issue de la rencontre un compte rendu de la discussion avec Saïed soit rédigée et lui soit transmise.
Bref, le taiseux se venge, épaulé par la partitocratie qui a trouvé en lui l’allié idéal contre M. Saïed qui ne cesse de les combattre et de les mépriser, faut-il le rappeler. D’ailleurs les visites à la Kasbah de Nabil Karoui, jadis persona non grata sous Chahed puis Fakhfakh, ne se comptent plus, ainsi que celles d’Anouar Maarouf, dont les déboires judiciaires ont été publiquement pointés du doigt par Saïed lui-même en recevant, cet été, Ghazi Chaouachi, à l’époque où ce dernier était encore ministre des Domaines de l’Etat.
En se rendant fréquemment à la Kasbah, les Karoui, Maarouf et les autres provoquent Saïed en lui faisant signifier que Mechichi qu’il a lui-même choisi est désormais proche d’eux et Mechichi ne peut pas refuser de les recevoir car il est l’otage de l’alliance islamo-affairiste, dont le soutien, aussi sulfureux soit-il, est essentiel et vital pour lui. Sans eux, son gouvernement tombera comme une feuille d’automne.
Plus de doute, la Tunisie s’achemine vers une guerre ouverte entre la Kasbah et Carthage et pendant ce temps la Tunisie trinque.
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