L’une des plus anciennes bouquineries de la rue d’Angleterre au centre-ville de Tunis est menacée de fermeture définitive. Une nouvelle accablante qui en dit long sur la crise que connait le monde du livre et de la lecture en Tunisie.
Par Fawz Benali
Il y a quelques jours, Faouzi Hedhili, propriétaire de cette bouquinerie, qui date des années 1950, a lancé un cri de détresse, annonçant qu’il allait mettre la clé sous la porte et tout abandonner.
Tout comme ce coin qui regorge de trésors littéraires, philosophiques et scientifiques et qui a vu défiler des générations de bibliophiles, plusieurs autres bouquineries, librairies et maisons d’édition souffrent de la crise que connait le monde du livre depuis déjà plusieurs années.
La rupture des Tunisiens avec la lecture
La concurrence des outils de technologie, de l’information instantanée, des réseaux sociaux, du téléphone portable et des jeux-vidéo a écrasé le livre en tant qu’outil de connaissance et moyen de divertissement, le reléguant au dernier des centres d’intérêt des jeunes comme des moins jeunes. Même les derniers et rares qui restent attachés au livre sont souvent tentés par les versions numériques et les ventes en ligne qui fleurissent aux dépens des petites librairies.
A l’annonce de la fermeture de la célèbre bouquinerie de la rue d’Angleterre, beaucoup ont une fois de plus pointé du doigt la pandémie du coronavirus qui a certes causé d’énormes dégâts au secteur culturel et économique; mais, réduire la difficulté de survie des différents métiers du livre à la crise sanitaire, c’est simplement se voiler la face. Car il va sans dire que les Tunisiens ont rompu avec la lecture depuis déjà pas mal de temps, et que beaucoup n’ont pas feuilleté un seul livre depuis des années. Il n’est plus nécessaire de se référer aux sondages et aux rapports de l’Unesco qui confirment d’ailleurs ce constat affligeant et donnent une image consternante sur ce que la société tunisienne est en train de devenir.
Maintenir les librairies ouvertes est une priorité
Il suffit de faire un tour du côté des chaînes de télévision locales ou des réseaux sociaux, terreau des discours de haine, et la violence dans les espaces publics qui en résulte, ou de constater la montée du fanatisme religieux et du terrorisme; mieux encore, on pourrait analyser les résultats des élections où la droite et les partis de «Dieu» réussissent toujours à tirer leur épingle du jeu. Tout cela dit long sur comment les sociétés qui boudent le livre finissent par s’isoler du reste du monde, s’abandonner à la pensée unique et sombrer dans l’ignorance, offrant un terrain favorable aux dictatures politiques et religieuses.
Mais l’annonce de la fermeture de la bouquinerie de la rue d’Angleterre n’est heureusement pas passée inaperçue, loin de là. Une grande campagne de solidarité a vite été lancée sur les réseaux sociaux, des pages Facebook ont été créées pour soutenir financièrement le propriétaire mais aussi pour faire le plein de livre du côté des bouquinistes.
Cet élan de solidarité va probablement empêcher la fermeture immédiate de la bouquinerie, mais ne résoudra clairement pas le problème sur le long terme, car cet engouement finira par s’éteindre et les visiteurs se feront de nouveau rares.
Cette mobilisation autour des métiers du livre rappelle forcément une autre en France en ce moment, celle lancée par le journaliste, critique littéraire et animateur de l’émission «La grande librairie» François Busnel qui vient de lancer un appel national pour la réouverture des librairies en cette période de deuxième confinement en France après que le président Emmanuel Macron ait jugé les librairies comme «des commerces non nécessaires» et décrété en ce sens leur fermeture à l’instar des cafés et restaurants.
«Fermer les librairies c’est se priver du meilleur bataillon pour affronter l’obscurantisme», souligne François Busnel dans sa pétition. Maintenir les librairies ouvertes devrait en effet être la priorité de tous les gouvernements, surtout ceux dont le processus démocratique et le rapport à la liberté sont encore fragiles, comme le cas en Tunisie, car le livre est un objet vital dans la lutte contre l’ignorance, le fanatisme et la violence.
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