Tout porte à croire que la Tunisie vit depuis 10 ans la ressuscitation des gènes berbères par le refus de la notion d’Etat et de toute autorité d’un pouvoir central, des gènes hilaliens par la propension à la destruction, et des gènes kharijites par la prédisposition à la terreur. Ces tares demeurent en veilleuse quand le pouvoir est fort mais remontent en surface dès que ce pouvoir donne des signes de faiblesse, comme aujourd’hui.
Par Mounir Chebil *
Après la gabegie qui a suivi la ômra viagère (petit pèlerinage à la Mecque) de Ben Ali en ce fameux 14 janvier 2011, les illuminés démocrates se sont réveillés avec une découverte : le système présidentiel engendre nécessairement la dictature d’une personne. Le salut de la Tunisie serait, donc, dans un système parlementaire qui la propulserait parmi les démocraties du monde. Le Tunisien démocrate serait la nouvelle attraction pour les touristes, avait-on aussi prédit, et on se disputerait le privilège et l’honneur de se photographier à ses côtés. L’argent du monde entier inonderait-il ce fleuron démocratique du monde arabe ?
L’autre grande découverte était que le système électoral majoritaire à deux tours engendre la dictature des grands partis. Alors, les illuminés démocrates associés aux illuminés intégristes ont rafistolé un système électoral bâtard qui permettait même aux contrebandiers et aux terroristes d’accéder aux instances représentatives et exécutives. La démocratie pour tous, en somme.
Enfin, la centralisation du pouvoir ayant engendré des inégalités régionales, alors, tout le pouvoir serait transféré aux régions qui sauraient nécessairement mieux gérer leurs propres affaires. La prospérité régnerait sur tout le territoire quitte à ce que les régions défavorisées puissent bénéficier de plus de sollicitude dans le cadre de la discrimination positive.
Une ratatouille dégoûtante sentant le brûlé en guise de démocratie
Tous ces ingrédients étaient censés permettre l’édification d’une miraculeuse démocratie. C’était l’Assemblée nationale constituante (ANC). Mais, on a oublié de l’épicer par la potion magique de Panoramix et avec quelques pincées de «zahm ennaam». Après trois ans de cuisson, au lieu d’une délicieuse «mouloukhia» cuite à feu doux, on nous a servi une ratatouille dégoûtante sentant le brûlé.
Le résultat : une constitution de tous les blocages. Le pouvoir est diffus entre le législatif ankylosé par la difficulté de constituer une majorité stable, un gouvernement funambule à la merci des caprices des partis et un président sans véritables compétences pour peser sur la gestion du pays.
Nous vivons dix ans de crises économiques qui ont mené le pays à la faillite au point de n’avoir pas d’argent pour acheter le vaccin contre la Covid-19. De 2011 à 2014, les Frères musulmans ont vidé les caisses de l’Etat et mis le pays à genoux. Eux et leurs alliés ont plongé la Tunisie dans un endettement faramineux comparable à celui de l’époque précoloniale. Et nous voilà à mendier des restes de vaccin auprès de l’Algérie. Le tissu économique privé et public est disloqué. La discrimination positive a abouti au nivellement par le bas ! Toutes les régions du pays sont devenues pauvres et marginalisées.
Le partage équitable de la pauvreté et de la misère
Le pouvoir pour les régions a fini par dégénérer en des associations de voyous dites comités de coordination régionale qui ont fini par rançonner l’Etat après l’avoir pris en otage.
Sur le plan social, la misère s’est répandue dans tout le pays et la famine menace. L’éducation, cette fierté des Tunisiens, s’est effondrée. Plus de 100.000 élèves quittent les écoles primaires chaque année sans compter ceux du secondaire. Un bon nombre d’établissements scolaires sont en état de ruine. Le système de santé s’est détérioré. Les hôpitaux délabrés sont devenus des mouroirs par manque de matériel et de personnel médical. La crise de la Covid-19 a dévoilé toutes les tares du système médical national.
Sur le plan politique, l’instabilité a paralysé le pays. Quand des terroristes sont au parlement et au gouvernement ainsi que dans l’administration publique; quand certains se prostituent pour les servir avec zèle; quand les soi-disant démocrates et progressistes s’illustrent par leur opportunisme, le sort du pays ne peut être que le chaos.
Une guerre larvée pour un improbable pouvoir
Ce tableau surréaliste est agrémenté ces derniers temps de deux têtes en guerre. D’une part, un président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), Rached Ghannouchi, affichant une grimace de Satan et usant de toutes les manœuvres pour installer un Etat islamique gouverné par la charia. D’autre part, un président de la république, Kaïs Saïed, surnommé Robocop, qui œuvre pour faire prévaloir ses hallucinations portant sur une sorte de démocratie directe ou de proximité qui ne peut déboucher que sur l’anarchie et à l’atomisation du pays.
Certes, d’autres tendances au pouvoir ou de l’extérieur du pouvoir s’accordent pour changer le système politique consacré par la constitution de 2014, mais chacune cherche une formule à sa mesure qui lui garantirait une meilleure place sur l’échiquier politique. Bonjour la «cacaphonie» !
Une guerre larvée pour le pouvoir et les avantages liés au pouvoir déchirent le pays, une guerre où les alternatives pour un mieux-être pour le peuple sont absentes. Car, la fronde télécommandée qui a abouti au coup d’Etat du 14 janvier 2011 a été récupérée et instrumentalisée par la petite bourgeoisie à col blanc et/ou enturbannée. Elle a fait commerce avec la politique là où elle pouvait vendre ses commérages «révolutionnaires», conquis les médias et gravi les diverses responsabilités administratives et politiques. Cette petite bourgeoisie parasitaire comme l’a qualifiée, et à juste titre, Karl Marx, a infesté l’Etat et toutes les structures et les instances qui tournent dans son orbite.
Ceux qui ont été manipulés pour manifester entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011, ces damnés de la terre n’étaient que chair à canon. C’étaient les Zouaves de l’armée française, les premiers sur le front et les derniers pour les galons.
Aujourd’hui de jeunes adolescents sont jetés à la fournaise. Ceux qui estiment qu’ils n’ont pas eu leur part du gâteau du 14-Janvier ou ceux qui veulent spéculer sur les agitations sociales de ces derniers jours, attendent qu’elles prennent une plus grande ampleur pour monter au créneau comme avant le 14 janvier 2011.
Une démocratie frappée par la poliomyélite
Le propre de la petite bourgeoisie, c’est de tendre à l’embourgeoisement au détriment des propriétaires des moyens de production et des créateurs des richesses ainsi que de la force de travail. Pour cela, elle est la première à trahir le peuple, même si elle s’allie à son combat par opportunisme. Elle prend sa force du peuple pour l’écraser par la suite et s’embourgeoiser par le pouvoir et la corruption que ce pouvoir favoriserait. Georges Orwell semble avoir écrit son livre ‘‘La ferme des animaux’’ pour la Tunisie révolutionnaire.
Et, comme l’a soutenu Alain Soral dans son livre ‘‘Comprendre l’empire’’, «jamais changement ne fut désiré par le peuple (…) Le peuple, au gré des plus ou moins mauvaises récoltes, a tout au plus des colères, des jacqueries périodiques, mais sans projet révolutionnaire pensé et théorisé… Dans les faits, la bourgeoisie de gauche de culture trotskiste et qui travestit la voie du peuple sans en être, tout se joue dans les villes, les salons, dans les clubs. Mais qui parle au nom du peuple, juge, avocat, clercs… une fraction de classe qui n’est plus du peuple depuis longtemps mais qui possède toutes les cartes et une partie des clés.»
La classe politique et les intellectuels qui se sont fait analystes, spécialistes en politique, en droit constitutionnel, en économie, en stratégie… ont échoué à arrêter la descente en enfer. Pire, ils n’ont fait que pousser vers le chaos. Aujourd’hui, pourquoi n’ont-ils jamais traité de la révolution des œillets au Portugal de 1974 qui a réussi à instaurer une démocratie forte ayant pu fermer les portes devant les velléités réactionnaires?
Tout porte à croire que la Tunisie vit depuis 10 ans la ressuscitation des gènes berbères par le refus de la notion d’Etat et de toute autorité d’un pouvoir central, des gènes hilaliens par la propension à la destruction, et des gènes kharijites par la prédisposition à la terreur. Ces tares demeurent en veilleuse quand le pouvoir est fort mais remontent en surface dès que ce pouvoir donne des signes de faiblesse. Une démocratie frappée par la poliomyélite ne peut en venir à bout. Ainsi, faudrait-il que l’Etat reprenne pleinement ses droits avant l’apocalypse.
* Ancien cadre de l’administration publique.
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