Il ne se passe pas un mois en Tunisie sans que le président de la république ne recadre vertement le chef du gouvernement… L’intervention de Kais Said, ce lundi 2 janvier 2021, lors de la réunion du Conseil national de sécurité est sans équivoque. Hichem Mechichi est de nouveau sur une corde raide.
Par Helal Jelali *
Tous les pseudo politiciens de ce pays refusent ou ignorent que la politique n’est pas une affaire de hauts fonctionnaires, d’experts, de juristes, de super-diplômés ou pire de simple connaissance des procédures administratives…
La politique à ses propres écoles: les associations de la société civile, les partis qui travaillent sur le terrain – et non les partis des plateaux de télévision –.
La politique est une vision, un programme socioéconomique réaliste et chiffré basé sur des audits, et fruit de nombreux débats…
Pour le novice, la politique n’offre que l’abîme.
La guerre «des trois»
Le Sphinx de Carthage a bien compris la guerre «des trois» présidences dans laquelle le président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) sort toujours victorieux. Cette «guerre» a déstabilisé l’ancien chef de gouvernement Youssef Chahed, a écourté la carrière de son successeur Elyes Fakhfakh et semble «cannibaliser» le dernier en date Hichem Mechichi…
Dans ce jeu de pouvoir qui a tout d’un jeu de dupes, Carthage semble, cette fois, compter les points sur les erreurs des deux parties d’en face : à savoir le chef du gouvernement et le président de l’Assemblée, ligués contre lui.
Quant Kaïs Saïed déclare à propos de sa relation avec M. Mechichi : «La présidence de la république n’est pas une boîte postale», on peut estimer que les carottes, pour ce dernier, sont bien cuites.
L’erreur fatale du chef du gouvernement, lâché même par Tahya Tournès, était son incapacité à trouver un soutien parlementaire crédible. Par ses rencontres avec Seifeddine Makhlouf et les députés de sa coalition extrémiste Al-Karama, il a perdu toute crédibilité nationale et aussi internationale. L’image de son gouvernement est ternie, même à l’étranger. Pour preuve : l’échec de sa dernière visite de travail à Paris. Son allocution à propos des émeutes nocturnes avait une sémantique d’un autre âge (on avait l’impression d’entendre Ben Ali outre-tombe), la maîtrise de sa locution était hésitante, une absence totale d’autorité et d’emprise sur la complexité de la situation.
Dans la guerre «des trois» Kaïs Saïd, qui n’a pas pardonné à sa «créature» son ingratitude voire sa trahison (et le mot est de lui), veut en finir avec le consensus mou instauré par feu Béji Caid Essebsi et le tout puissant leader islamiste Rached Ghannouchi, qui est le seul à faire vraiment de la politique dans ce pays, même si ses choix ne sont pas les meilleurs pour la Tunisie.
Mechichi et Ghannouchi dos au mur
La guerre «des trois» va-t-elle couler Hichem Mechichi? Tout dépendra des hypothétiques reculades de Rached Ghannouchi, le remaniement du gouvernement imposé par lui étant désormais dans l’impasse, puisque le chef de l’Etat lui a clairement signifié qu’il refusera de présider la cérémonie officielle de prestation de serment des onze nouveaux membres du gouvernement, dont quatre traînent des affaires de corruption et de conflit d’intérêt. Et en l’absence d’une Cour Constitutionnelle, c’est lui qui reste le gardien de la Constitution et le garant de la continuité de l’Etat.
Quand à Kaïs Saied, la virulence de son discours de ce lundi marque un tournant dont la lisibilité reste à attendre dans les mois prochains. Son ambition me rappelle une petite phrase d’Homère à propos de ‘‘La Guerre de Troie’’ : «Un petit rocher peut arrêter une grosse vague»… Cette guerre d’usure à ruiné la Tunisie, et plus dramatique, elle a rendu la Constitution – et le système auquel elle a donné lieu – caduque.
Notre classe politique devrait réfléchir sur une pensée du florentin Machiavel : «Ce n’est le titre qui honore l’homme, mais c’est à l’homme d’honorer le titre».
* Ancien journaliste en France.
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