Les déboires judiciaires atteignant le président de son parti, Qalb Tounès, auraient dû inciter le député Yadh Elloumi à s’informer davantage sur Winston Churchill, et son opposition résolue à tout compromis avec le fascisme et le nazisme, résumée par cette tirade flamboyante : «À Munich, l’Angleterre avait le choix entre le déshonneur et la guerre; elle a choisi le déshonneur et elle a eu la guerre».
Par Dr Mounir Hanablia *
Yadh Elloumi est réputé pour les exubérances oratoires dont il fait usage dans ses philippiques contre le président Kais Saied. La dernière en date de ses incartades verbales a fait le buzz. Dans son apologie de la justice, il a attribué au célèbre Winston Churchill une phrase dont l’auteur ne fut autre que Abderrahman Ibn Khaldoun, la considérant comme le pilier de la civilisation, de la prospérité, de la cité, le terme arabe pouvant être interprété de différentes manières, évoquant dans tous les cas l’installation et la croissance organisée et pacifique d’une communauté humaine (civitas).
Les explications ultérieures du député tentant de minimiser cette imprécision, pour sauver la face, n’ont pas été plus convaincantes; il a prêté au célèbre britannique l’assertion selon laquelle il préférait la guerre à la perturbation du cours de la justice. Si tant est que cela fût vrai, on ne peut pas dire que Donald Trump, l’ex-président américain, eût été un supporter inconditionnel de l’ancien Premier ministre de sa majesté, puisqu’il a fait exactement le contraire, en libérant un ami condamné pour délit de parjure, un crime fédéral, et qu’il s’est abstenu soigneusement de bombarder les pays considérés comme ennemis, ce dont on peut le créditer.
Des erreurs historiques singulièrement déplacées
Cependant on peut tout aussi bien penser que le parti de Yadh Elloumi, Qalb Tounès, ait plutôt suivi la voie de Neville Chamberlain, le prédécesseur de Churchill au poste de Premier ministre, qui s’était rendu à Munich en compagnie d’Edouard Daladier, pour entériner l’Anschluss, ainsi que l’occupation par les Nazis des Sudètes, et de la Tchécoslovaquie, avec laquelle l’Angleterre possédait un accord de défense. Il était revenu à Londres brandissant la feuille de l’accord, qui allait quelques mois plus tard, s’avérer n’être qu’un chiffon de papier, avec l’invasion de la Pologne par les armées de Hitler. Munich serait assimilé ainsi à l’infamie, celle de dirigeants peu respectueux de leurs engagements et capitulant face aux entreprises d’un dictateur effrontément menteur, cela constituant d’ailleurs dans la plupart des cas un pléonasme.
C’est d’ailleurs dans ce contexte, celui de l’occupation de la Pologne en dépit des engagements contractés à Munich, que Chamberlain fut obligé de démissionner lors d’un vote à la Chambre des Communes, remplacé par Winston Churchill, qui l’avait interpellé dans des termes assez vifs, lui demandant, au nom de Dieu, de partir après avoir trop longtemps siégé pour le bien qu’il avait apporté.
Pour Elloumi, le sort de Karoui importe plus que celui de la Tunisie
Plus que l’erreur historique, la référence à Winston Churchill par le député de Qalb Tounès apparait ainsi singulièrement déplacée. C’est en effet son parti qui avait offert la présidence de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) à celui avec qu’il avait promis de ne jamais s’allier afin de s’attirer la faveur des électeurs. C’est encore lui qui a accepté l’alliance avec la coalition Al-Karama dont on connaît les positions non seulement misogynes, mais séditieuses, et totalitaires telles que les avait exprimées le député Mohamed Affès.
C’est, faut-il le rappeler, le député Yadh Elloumi lui-même qui est monté au créneau pour soutenir le dernier remaniement ministériel, exigé par les partis Ennahdha et Al-Karama pour des raisons purement politiques, celles de s’opposer aux nominations issues de la présidence de la république, inspirées selon eux par une femme, Nadia Akacha en l’occurrence, directrice du cabinet du président de la république, et dont justement toutes les femmes ministres ont fait les frais en en étant écartées.
C’est encore lui qui a absous le gouvernement de toute responsabilité dans «la sueur, le sang et les larmes», selon le mot de Churchill, dans lesquels baigne le peuple de ce pays, et dans la gestion désastreuse de la pandémie Covid-19 qui place la Tunisie en deuxième position des pays les plus touchés en Afrique, en rejetant cette même responsabilité entièrement sur le président de la république. C’est toujours lui-même qui a dispensé l’actuel chef du gouvernement, Hichem Mechichi, de fournir des explications sur sa résolution de la crise d’El-Kamour contribuant à la vague actuelle de contestations sociales que traverse le pays, et sur le recours pour les contenir à des excès condamnés par les organisations des droits de l’homme. Ce ne pouvait être que lui, celui qui en l’absence de Cour Constitutionnelle, n’a pas mesuré les éventuelles conséquences institutionnelles du refus par le président de la république des nouvelles nominations ministérielles, en affirmant que ce dernier n’avait d’autre choix que de les accepter. Et qui d’autre que lui pouvait professer sa confiance dans la justice tout en avouant s’en défier, parce que, selon lui, les experts financiers chargés d’examiner le dossier du président de son parti, Nabil Karoui, actuellement détenu dans des affaires de blanchiment d’argent, n’avaient pas fait preuve de l’objectivité et de l’impartialité nécessaires?
Subordination de la loi aux impératifs de la politique politicienne
Eu égard à cela, on ne peut pas exclure que le soutien apporté par Qalb Tounès à Hichem Mechichi ne soit pas inspiré par des raisons autres que politiques, et s’apparentant d’une certaine manière au conflit d’intérêt. On peut même ajouter, après l’affaire Elyes Fakhfakh, l’ex-chef de gouvernement contraint de démissionner suite à une affaire de conflit d’intérêt, que la décision prise par la majorité parlementaire, le fameux «coussin» de M. Mechichi, d’ignorer toutes les objections de la présidence, relativement au dernier remaniement ministériel, à propos de supposés conflits d’intérêts, laisse dubitatif sur le double standard avec lequel les «affaires» sont abordées au sein de l’ARP, et la subordination du règlement ou de la justice aux impératifs de la politique politicienne. Les déboires judiciaires atteignant son parti auraient certainement dû inciter M. Elloumi à s’informer davantage sur Winston Churchill, et son opposition résolue à tout compromis avec le fascisme et le nazisme, résumée par cette tirade flamboyante : «À Munich, l’Angleterre avait le choix entre le déshonneur et la guerre; elle a choisi le déshonneur et elle a eu la guerre».
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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