Disons tout de suite cette vérité amère : la banque centrale, les patrons des grandes entreprises et les gros riches ainsi que les rentiers n’aiment pas entendre parler de dévaluation de la monnaie nationale. Ce n’est pas le cas nécessairement des PME et des PMI et du reste des secteurs économiques. Or, on ne vous le dit pas assez : une dévaluation maîtrisée est toujours moins grave pour l’économie – si elle ne l’aide pas à se relever – qu’une dépréciation imposée, dont nous autres Tunisiens nous ne sommes pas loin.
Par Hélal Jelali *
En économie comme en politique, il y a des secrets d’alcôve… La politique monétaire recèle de nombreuses stratégies non-avouées. Parmi ces secrets, le débat sur la valeur réelle d’une monnaie. Une Dévaluation maîtrisée n’a rien à voir avec une Dépréciation imposée par les marchés financiers ou les institutions internationales.
Souvent, les décisions nécessaires dans ce domaine se prennent tard dans la nuit et dans des couloirs peu éclairés. À demi-mot, le patron d’une banque centrale dit souvent à ses collaborateurs, à propos d’une Dévaluation Maîtrisée ou d’une Dépréciation (en gras): «Faites le nécessaire…»
Par ailleurs, le Covid-19 à battu en brèche le néolibéralisme triomphant. L’interventionnisme de l’Etat est de retour. La rigueur allemande à disparu. Berlin à mis sur la table 500 milliards d’euros et Paris, 300 milliards pour relancer leurs économies. La planche à billets fonctionne à plein régime… Et au diable les faux experts et certains think-tanks.
Ne confondons pas dépréciation imposée avec dévaluation maîtrisée
Plantons d’aborde le décor, et ne confondons pas une Dépréciation imposée avec une Dévaluation maîtrisée décidée expressément par un gouvernement. Toute politique monétaire à des résultats contradictoires et non linéaires.
Disons ensuite une vérité amère : la Banque centrale, les patrons des grandes entreprises et les gros riches ainsi que les rentiers n’aiment pas entendre parler de Dévaluation. Ce n’est pas le cas nécessairement des PME et des PMI et du reste des secteurs économiques.
La Potion douloureuse : et qu’en penserait un syndicat comme l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), hardi comme d’habitude ? Il va demander des augmentations salariales… La réponse devrait être : oui mais très-très modérément.
Quel gâchis ! Depuis 2011, la Banque centrale de Tunisie (BCT) a englouti des milliards de dollars pour soutenir le Dinar Tunisien, juste pour que les très grands riches – et non les riches tout court – dorment sans faire de cauchemars… Or, la Tunisie à grand besoin d’un taux de change légèrement flexible pour éviter des dépenses en devises afin de maintenir un taux de change fixe par rapport au panier du dollar et de l’euro.
En économie, il vaut mieux prévoir l’orage par beau temps
Certes, l’indépendance de la BCT est un acquis, mais elle ne peut «privatiser» sa politique monétaire et considérer les devises qu’elle détient comme «un otage». Et les éminents économistes – la majorité des lobbyistes – iront dire : «C’est de la folie, cette histoire de Dévaluation Maîtrisée»… Rappelons une réflexion du florentin Machiavel qui disait que «l’habituel défaut de l’homme est de ne pas prévoir l’orage par beau temps».
La réponse ne vient pas des livres et des universités ou des experts, mais de l’histoire la plus tangible: Raymond Barre, ancien Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing – et qualifié à l’époque du meilleur économiste de France – n’a-t-il pas dévalué le franc qui faillit décrocher des 2 SME – le Serpent Monétaire Européen et le Système Monétaire Européen de l’époque –. C’étaient 2 systèmes de stabilisation des fluctuations monétaires.
Encore un peu d’histoire : le ministre de l’Économie de François Mitterrand et qui avait occupé plus tard le prestigieux poste du président de la Commission Européenne, Jacques Delors, n’a-t-il pas initié une Dévaluation Maîtrisée du franc avant de faire le choix de la politique du franc fort qui coûtera aux socialistes la défaite cinglante des élections législatives de 1986. Son plan de rigueur a créé l’expression «les nouveaux pauvres» dénoncée par Coluche.
La rigueur économique et le puritanisme monétaire ne servent ni les peuples, ni les États, mais ils engraissent les très grands riches. L’Euro en France, et surtout les critères de Maastricht – critères de convergence monétaire et budgétaire – ce sont neuf millions de pauvres, selon un article publié par le quotidien ‘‘Le Monde’’, la semaine dernière. Une politique monétaire rigide, c’est l’explosion des inégalités sociales. Nous vivons dans un monde où tout est basé sur la flexibilité des échanges commerciaux et des emplois et il est étonnant que nos économistes restent aussi orthodoxes.
Personne ne pourrait contester qu’une Dévaluation Maîtrisée sauve les finances publiques et soutient la balance commerciale en réduisant les importations.
La Tunisie est surendettée, peu compétitive et dépensière
La Tunisie est surendettée, elle n’est plus compétitive en comparaison avec son environnement méditerranéen et elle gaspille des dollars et des euros pour soutenir un Dinar dont la grande partie de sa masse circule dans le commerce informel et chez les contrebandiers… Tout cela au profit de qui? Au profit de l’évasion fiscale, des fuites des capitaux et des grandes familles rentières au patrimoine monopolistique…
C’est vrai que toute dévaluation provoque, au début, le mépris des électeurs et la méfiance des classes moyennes. À court terme – juste la première année –, elle provoque l’angoisse des ménages, mais par la suite elle relance la consommation interne et booste les exportations. Autre bénéfice direct, elle encourage aussi le 1,5 million de Tunisiens qui résident en Europe, au Canada et dans les pays du Golfe à multiplier les mandats envoyés à leur famille et à penser à construire une maison ou lancer un petit commerce.
Monsieur le Gouverneur de la BCT, il est temps que je vous envoie une adresse : vous le savez-bien, une Dévaluation Maîtrisée protégera sûrement le Dinar Tunisien d’une Dépréciation forcée et inéluctable. Le Fonds monétaire international (FMI) et les autres bailleurs de fonds ne pourront financer, indéfiniment, votre soutien à une monnaie artificiellement surévaluée.
Exemples historiques des conséquences tragiques de la dépréciation forcée
Et revenons à notre cher historique pour découvrir les conséquences tragiques de la Dépréciation forcée par les marchés boursiers, les bulles immobilières – une réalité tunisienne cachée – et les créanciers : nous avons 3 pays voisins qui avaient connu une Dépréciation forcée de leur monnaie : l’Italie dans les années 1970 au temps de la Lire, l’Algérie dans les années 1980 et plus récemment l’Égypte depuis 2011.
En Algérie, au début des années 1980, sous le Premier ministre de Chadli Benjedid, Mohamed Abdelghani a laissé chuter, sans contrôle et sans accompagnement, le Dinar Algérien, la facture fut très chère, en 1986, avec la chute du prix des hydrocarbures, le pays a payé 9 milliards de dollars de dette sur 12 milliards de rente. La chute du dinar algérien et la crise économique de 1986 sont à l’origine des émeutes de 1988 et on connaît la suite…
La crise de la Lire italienne était presque chronique et elle a dû quitter le Système Monétaire Européen au début des années 1990…
Quant à l’Égypte, nous n’avons pas besoin d’un expert pour dire que la petite classe moyenne a perdu pas mal de plumes.
En France, on a tant vanté les «trente glorieuses», mais durant cette époque, de Robert Schuman jusqu’à Raymond Barre, le cours du franc a été ponctué de Dévaluations successives. L’orthodoxie monétaire n’est pas viable par temps de crise et pourrait provoquer des mouvements sociaux imprévisibles. L’exemple le plus clair, que nous avons tous oublié, l’ancien PM Mohamed Mzali avait voulu maintenir un Dinar Tunisien fort dans le sillage du Franc français, il avait récolté «les émeutes du pain» à la fin du mois de décembre 1983… Comme par hasard, le ministre des Finances et du Plan, Mansour Moalla, avait quitté son bureau 6 mois avant.
Enfin, Monsieur le Président de la république, comme vous le savez, nous les Tunisiens, nous adorons raconter des petites histoires: pour quelques riches familles post-coloniales, on a maintenu le Dinar Tunisien à la valeur de 12 Francs français jusqu’à 1967… Ceci leurs a permis de partir en France et dormir sur des bons matelas… Vous pouvez rencontrez leurs descendants à Nice, à Cannes, à Juan les Pins, à Biarritz et bien sûr à Paris… C’est surréaliste pour ne pas dire kafkaïen. Une Dévaluation maîtrisée mettrait à mal le commerce informel et les contrebandiers ainsi que l’évasion des capitaux.
Après tout, l’industriel Henri Ford disait que «si le peuple comprenait les questions bancaires et monétaires, nous aurons une révolution avant demain matin».
* Ancien journaliste à Paris, retraité.
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