La triste nouvelle du décès de Zeyneb Farhat, activiste politique et animatrice culturelle, directrice de l’Espace El Téatro à Tunis, est tombée hier soir, mardi 18 mai 2021, plongeant dans la consternation les milieux politique, médiatique et culturel, en Tunisie et même au-delà, car la défunte avait des ami(e)s un peu partout dans le monde. On la savait malade, mais on n’osait pas croire qu’elle eut pu décéder. Tant elle était dynamique, avenante, disponible, croquant la vie à pleines dents et toujours partante pour de nouveaux projets et de nouvelles aventures.
Par Ridha Kefi
Le décès de Zeyneb Farhat, une brave dame qui a marqué de son empreinte indélébile l’histoire culturelle et artistique tunisienne et arabe des trente dernières années, ne pouvait laisser indifférent et ce sont des dizaines de milliers d’internautes qui l’ont pleurée, hier soir, sur les réseaux sociaux, avec des mots où se mêlent la profonde tristesse, la reconnaissance et la tendresse. C’est que la défunte était, pour un grand nombre de créateurs et de créatrices, dans tous les domaines, du théâtre aux arts plastiques, en passant par la littérature, la musique ou la chorégraphie, à la fois, une égérie, une bonne conseillère, une amie attentionnée et un soutien indéfectible, une personne rare de bonté de cœur et d’intelligence pratique sur laquelle on pouvait toujours compter et, surtout, dans les moments de doute, de solitude et d’abattement.
L’égérie, l’amie et la bonne conseillère
Dans ces moments difficiles où l’on a juste besoin d’un mot tendre et d’une affectueuse attention pour se remettre en selle, Zeyneb Farhat savait être disponible, mettant à la disposition de celui ou celle qui la sollicite, son amitié sincère, ses mots qui rechargent et revigorent, son savoir-faire, son esprit positif et son carnet d’adresses. Pour bien faire ou, surtout, pour faire le bien, elle était d’une redoutable efficacité et tout le monde pouvait compter sur elle, même ses concurrents dans la profession. Autant dire que la défunte, plus que toute autre personne, est irremplaçable et que sa mort constitue une grande perte pour tous ceux qui l’ont côtoyée et aimée.
Bien entendu, celui à qui Zeyneb Farhat va beaucoup manquer et à qui vont aujourd’hui toutes nos tendres pensées, reste son compagnon de route et son cher époux Taoufik Jebali, un artiste hors-pair doublé d’un être sensible et tendre, sous des dehors de railleur facétieux et de pince sans rire. Autodidacte, qui a commencé sa carrière d’auteur dramatique en France, avant de rentrer en Tunisie, au début des années 1980, et de participer à l’aventure des premières troupes théâtrales privées, aux côtés de Raja Farhat, Moncef Sayem, feue Raja Ben Ammar, feu Mahmoud Larnaout, Raouf Ben Amor, Mohamed Driss, Fadhel Jaïbi, Fadhel Jaziri et autres feu Habib Masrouki. Mais c’est sa rencontre avec Zeineb Farhat, fraîchement diplômée de l’Institut de presse et des sciences de l’information (Ipsi), qui va constituer un moment déterminant dans sa vie d’homme et dans son parcours d’artiste. C’est avec elle, en effet, qu’il fondra, en 1986, la salle et la troupe El-Téatro, au sein de l’hôtel El-Mechtel, à Tunis, et qu’il multipliera les créations, à commencer par ‘‘Mémoires d’un dinosaure’’, adaptée de Bertold Brecht, qui vont rapidement l’imposer comme l’une des valeurs sûres du renouveau théâtral en Tunisie, en tant que dramaturge, metteur en scène et comédien, un véritable homme d’orchestre, car il s’illustrera aussi comme un excellent formateur en créant une sorte d’Actors Studio.
C’est d’elle que tout émanait et c’est à elle que tout revenait
Dans cette aventure qui compte dans l’histoire du théâtre tunisien contemporain, l’apport de Zeyneb Farhat fut important et déterminant, car c’est d’elle que tout émanait et c’est à elle que tout revenait, car elle savait mettre les artistes à l’aise, tout à leur ouvrage, en les déchargeant de toutes les tâches organisationnelles liées à la production, au financement et à la médiatisation. Elle prenait tout sur elle, et même dans les moments de forte tension, dont l’univers de la création n’est pas exempt, elle était toujours là pour aplanir les difficultés, surmonter les obstacles, calmer les passions et faire en sorte de restaurer le climat propice à la création. Pour Taoufik Jebali et ses compagnons de scène, elle assurait, avec son bagou, sa bonhomie et sa science de la communication, le lien ou le liant qui maintenait la construction sur des bases solides.
Si El-Téatro est, aujourd’hui, en tant qu’espace de représentation, école de formation et laboratoire de création, un modèle dans le genre, souvent imité mais jamais égalé, il le doit en grande partie à l’efficacité et à l’entregent de cette dame, dont la passion pour l’art et la culture est contagieuse et qui, par sa bonté naturelle, son amour des autres et sa manière de tirer le meilleur de chacun, forçaient le respect et inspiraient la confiance.
Avec le décès de Zeyneb Farhat, une page est certes tournée et rien à El-Téatro ne sera plus comme avant, car la chère disparue ne saurait être remplacée facilement, mais on peut tout de même se consoler de savoir que la pasionaria des arts a su, au cours des dix dernières années, avec son compagnon Taoufik Jebali, former une génération de créateurs, tout aussi curieux, inventifs et généreux, qui se feront un devoir de poursuivre l’aventure, avec la même abnégation pour que la flamme ne soit jamais éteinte et qu’El-Téatro continue de briller et d’illuminer la scène culturelle en Tunisie et dans le monde arabe, dont il est – et restera sans doute encore longtemps – l’un des laboratoires porté sur la recherche, l’aventure et l’innovation.
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