Avant le match amical Algérie-Tunisie, remporté par les coéquipiers de Riyad Mahrez, hier soir, vendredi 11 juin 2021, au stade de Radès, sur le score de 0-2, des déclarations ont été faites par le capitaine des Fennecs et l’entraîneur de l’équipe de Tunisie, Mondher Kebaier, qui en disent long sur l’état d’esprit dominant dans les deux camps.
Par Hédi Chenchabi *
«On connaît la Tunisie. Elle est comme l’Athlético Madrid, tu domines et à la fin tu te fais avoir», a dit Mahrez provoquant par ses propos qui sonnaient comme un avertissement mobilisateur adressé à ses coéquipiers (le résultat a d’ailleurs suivi) des réactions de la part des Tunisiens dont celle de l’entraîneur national qui a dit, dans ce qui sonne comme une fanfaronnade: «Il faut savoir que notre groupe a son propre style de jeu… La victoire est notre seul mot d’ordre».
La valorisation du patrimoine footballistique au Maghreb
Au-delà des réserves qu’on peut avoir à propos de telle ou telle affirmation; en football, de toute façon, on n’est jamais d’accord; il faut souligner la difficulté qu’ont des sportifs ou des observateurs à appréhender l’enjeu de la connaissance et de la valorisation du patrimoine footballistique du Maghreb, les histoires communes et singulières et la difficulté de faire briller cette zone géographique dans l’histoire du football africain et mondial.
Et si le football était autre chose que l’appel à l’humiliation ou à la défaite ? Les équipes nationales ne devraient-elles pas porter d’autres valeurs surtout lors d’un match amical ? Par exemple, celles de l’unité du Maghreb, de l’espoir démocratique, de la fraternité…
Les termes mêmes de Mahrez et Kebaier participent d’une sémantique à connotation militaire : domination, possession, attaque, défense. C’est le propre du sport, me diriez-vous, et du football en particulier, mais ne peut-on pas présenter ce jeu populaire comme créateur et éducateur, développant chez ceux qui le pratiquent le sens de l’entraide, de la collaboration et du collectif, et non seulement celui du combat et de la domination.
Le football tunisien porte en lui une mémoire qu’il faut entretenir et enrichir. Celle de l’insertion dans un tissu local et régional, dont les équipes des quartiers populaires sont le laboratoire. Ce jeu populaire valorisait certes ses stars et ses fans, mais tout en prônant la fraternité, la convivialité et le partage. Mais cette mentalité est aujourd’hui battue en brèche par la marchandisation excessive des compétitions et des joueurs.
Effort, estime de soi, respect de l’autre et amitié partagée
Le football en Tunisie et en Algérie est né de la volonté des peuples colonisés de construire des clubs qui s’inscrivent dans le combat nationaliste et contre la domination coloniale. Cette histoire plus que centenaire a donné naissance à des grands clubs et à des sélections maghrébines. Des grands noms du football dans ces pays, sous le joug colonial ou après les indépendances, font partie de l’histoire du football national et international. De Ben Mbarek, le Marocain dans les années 30, à Madjer et Mahrez, les Algériens, ou Chadly et Trabelsi, les Tunisiens, la planète du football maghrébin a été et demeure une école pour de nombreux jeunes de différentes générations, promouvant le sens de l’effort, de l’estime de soi, du respect de l’autre et de l’amitié partagée.
La première équipe nationale d’Algérie, celle du FLN, composée des plus grands joueurs algériens évoluant dans le championnat professionnel de France, a organisé son premier match en Tunisie qui venait à peine d’accéder à l’indépendance. Bourguiba était fier d’accueillir au stade Chedly Zouiten ses frères algériens en lutte contre le colonialisme français. Il a permis ce jour-là d’entonner l’hymne national algérien interdit en Algérie et de faire flotter le futur drapeau de ce pays frères.
Cette page glorieuse de notre histoire et celle du football maghrébin ne sont pas suffisamment valorisées auprès des nouvelles générations. Les acteurs d’aujourd’hui oublient d’où nous venons et ce qui fait nos histoires communes. Celles d’un football où des communautés s’affrontaient avec le plus profond respect, comme c’était le cas en Algérie ou en Tunisie avec la formation d’équipes de football par des musulmans, des juifs, des Français, des Italiens, des Maltais… traduisant sur le terrain le creuset que représentaient nos pays au cours de la première moitié du XXe siècle.
Une mémoire à faire revivre et à partager
Le mystère du succès populaire du football provient de ce mixage d’aspirations et de valeurs pour devenir un formidable exemple de dépassement de soi, de réussite, d’échange et de lutte contre les discriminations. Le genou à terre des joueurs de football avant les matchs pour marquer leur refus du racisme fait revivre cet esprit et cette tradition.
Lors de sa septième édition, en cette année 2021, le Printemps culturel tunisien en France a prévu plusieurs ateliers de réflexion autour de la mémoire du football en Tunisie et au Maghreb. Les réflexions développées ici seront restituées dans plusieurs événements, notamment une exposition photographique au début de l’année 2022, le but étant d’avancer vers un football de citoyenneté loin des envolées émotionnelles et des dérives nationalistes qui fracturent nos sociétés.
* Président du Printemps culturel tunisien en France.
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