«Tout se passe comme si le gouvernement cherche maintenant la bagarre; il la trouvera. Et il n’est pas dit que la prépondérance en sortira victorieuse… Le pays est donc décidé à la lutte. Il est prêt aussi à tous les sacrifices que cette lutte comporte», écrivait Habib Bourguiba, le 25 décembre 1937. «Pour la libération de mon pays, j’ai connu les prisons, les camps de concentration et les déportations des colonialistes français», déclarait, de son côté, Georges Adda, le 5 octobre 2008. Les destouriens libéraux et les progressistes de gauche ont toujours mené des combats communs.
Par Meriem Bouchoucha *
Ces deux citations complémentaires de ces deux grands militants pour l’indépendance de la Tunisie se sont imposées à nous en préambule de cet article.
Le 30 juin 2021, quand le collectif de défense de Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, deux dirigeants de la gauche tombés en martyrs en 2013, assassinés par des islamistes, tenait, à Tunis, sa conférence de presse pour parler des magistrats au service de l’organisation secrète d’Ennahdha, le parti islamiste au pouvoir depuis 2011, les membres du bloc parlementaire du Parti destourien libre (PDL) menaient, sous la coupole de l’Assemblée, au Bardo, leur combat contre les manœuvres politiques de cette même organisation secrète.
Deux combats menés par la gauche d’un côté et les destouriens de l’autre, frères ennemis, qui représentent les plus anciens mouvements politiques en Tunisie. Les deux mouvements sont progressistes, économiquement pour l’Etat social et politiquement souverainistes. Ils ont mené la guerre de libération nationale et souvent côte à côte, ont porté ensemble les armes jusqu’en 1956 et rendu les armes, également ensemble, après la création des forces armées tunisiennes étant tous deux républicains et civils.
Soixante ans après, de l’eau a coulé sous les ponts et la dictature a détruit bien des choses; la gauche et les destouriens sont devenus ennemis politiques, les premiers dans l’opposition et les seconds au pouvoir.
Bien qu’il y ait eu des dissidents des deux côtés, gauche et destouriens, qui ont choisi de plier devant la vague islamiste; ces deux mouvements demeurent des alliés objectifs car ce qui les unit, malgré eux, est bien plus important que de ce qui les sépare.
Hier, les deux combats simultanés, l’un contre les islamistes de la justice et l’autre contre les islamistes du parlement et leurs sbires respectifs, a fini par faire sortir les islamistes de leurs gonds. Deux agressions physiques contre Abir Moussi sous la coupole de l’Assemblée; des communiqués pour démentir les révélations du collectif de défense de Belaid et Brahmi; le président de l’Association des magistrats tunisiens (AMT) renie ses propres déclarations, Mohamed Hamrouni, le chroniqueur islamiste de la chaîne Attessia, minimise la portée des graves révélations faites lors de la conférence de presse du 30 juin… et j’en passe.
Un état de panique général pour une raison évidente : la gauche et les destouriens se sont attaqués au cadre institutionnel qui les protège à l’intérieur et au cadre institutionnel qui les protège à l’extérieur.
Le 30 juin 2021, c’était le jour où la gauche et les destouriens se sont attaqués à l’impunité sous l’égide de la fraction de la justice islamiste et/ou corrompue et au financement des islamistes qui se fera désormais à travers un fond dont l’organisation se prête à devenir une nouvelle administration de habous, ou biens de mainmorte, un système dissous par Bourguiba, le premier président de la république tunisienne. Souvenez-vous du tollé provoqué par cette décision de bon sens parmi les islamistes, toujours soucieux de contourner l’Etat par des organisations secrètes parallèles.
Le 30 juin 2021, je crois et j’espère que c’est le début de la marche vers la libération. Car un peuple uni ne peut être vaincu et, ce jour-là, on a été unis. Si la bataille a été momentanément perdue, c’est elle qui va nous mener à gagner la guerre.
Au nom du combat mené clandestinement en 1934 suite à l’arrestation des dirigeants du Parti communiste tunisien (CT) et du Néo-Destour, Adda et Bourguiba et leurs camarades de combat.
Au nom du 9 avril 1938 qui a réuni nos aïeux contre la colonisation française et du 9 avril 2012 qui nous a unis contre la colonisation islamiste.
Au nom des combats menés pour la libération.
Pour la mémoire de nos martyrs…
Ne régressons surtout pas vers des positions stupidement et suicidairement sectaires.
* Docteur en économie.
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http://kapitalis.com/tunisie/2021/06/17/le-president-saied-et-ses-quatre-convives/
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