Noureddine Taboubi et sa bande du bureau exécutif de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) vont tenir un congrès extraordinaire, non pour faire élire une nouvelle direction, comme le stipule le règlement intérieur de l’organisation, mais pour tripatouiller ce règlement intérieur et y faire sauter la règle de la limitation des mandats qui fait obstacle à leurs ambitions de rester ad vitam aeternam à la tête de la centrale syndicale fondée par Farhat Hached. Le problème c’est que personne, parmi ces chers démocrates qui infestent la scène politique tunisienne, ne trouve à redire face à ce qui ressemble à un putsch… Voilà où en est la «jeune démocratie tunisienne».
Par Ridha Kéfi
Le congrès non électoral de l’UGTT aura donc lieu les 8 et 9 juillet 2021 dans un hôtel d’El-Kantaoui, au nord de Sousse, «en présence de 580 congressistes, dans une salle pouvant en contenir 1000», dit-on du côté de la place Mohamed Ali, siège de l’organisation, pour justifier la tenue de cette assemblée malgré la forte recrudescence des cas de contamination au Covid-19 et les mesures draconiennes de prévention édictées par le gouvernement.
Les idiots, qui regardent le doigt quand on leur montre la lune, n’ont pas trouvé mieux que de s’attaquer à la très dynamique gouverneure (préfète) de Sousse pour avoir autorisé la tenue de ce congrès en pleine période d’aggravation de la pandémie, alors que tout le monde sait que l’autorisation est plutôt venue du chef du gouvernement, Hichem Mechichi, qui, on le sait, ne refuse rien à ceux qui ont les moyens de le chasser du Palais de la Kasbah. Et M. Taboubi en fait partie.
Après Bourguiba et Ben Ali, Taboubi !
Cela dit, le problème est ailleurs, mais ces chers dirigeants politiques, dont l’opportunisme n’a d’égal que la lâcheté, se sont tous gardés de déplorer le très grave dépassement qui entache ce congrès, organisé de manière illégale et dans le mépris total des règlements intérieurs de la centrale syndicale, et dont le seul objectif est de permettre au secrétaire général Noureddine Taboubi de faire sauter l’obstacle de la limitation des mandats pour s’offrir, lui et sa bande, une sorte de «présidence à vie».
Si la Tunisie a eu, jusque-là, deux dictateurs, Habib Bourguiba et Zine El-Abidine Ben Ali, qui ont tripatouillé la Constitution pour s’offrir une présidence à durée illimitée, et si les Tunisiens ont fait une révolution en 2011 pour rompre avec ces pratiques d’un autre âge, ils vont avoir, en cette année 2021, leur troisième dictateur en la personne de M. Taboubi, sans que personne ne trouve rien à redire.
C’est très grave pour notre «jeune démocratie tunisienne», à laquelle on a de plus de peine à croire, mais tous ces chers démocrates qui occupent les devants de la scène et encombrent les médias de leurs bruits et fureurs se gardent d’émettre la moindre réserve et même les médias mainstream prennent la précaution de ne pas les interroger à ce sujet. On appréciera au passage le professionnalisme et l’indépendance de ces chers journalistes et chroniqueurs.
Quand M. Taboubi décide une chose – et Dieu sait qu’il n’en fait qu’à sa tête –, même celle de passer outre les statuts de l’organisation fondée par Farhat Hached et de faire un passage en force pour rester indéfiniment à la tête de l’UGTT, tous les dirigeants politiques expriment – courageusement – leur accord tacite en faisant semblant de n’avoir rien vu et rien entendu et en laissant le temps au putschiste de commettre son forfait.
Le passage en force de M. Taboubi ne dérange personne
Tous, à commencer par le président de la république Kaïs Saïed, qui adore s’afficher aux côtés de M. Taboubi (c’est à croire qu’il lui apporte sa baraka), ferment les yeux et laissent faire, par lâcheté et, surtout, par opportunisme, car ils ne veulent pas se mettre sur le dos M. Taboubi et sa bande, dans le cas où ils auraient besoin de leur appui dans un prochain combat politique ou une prochaine élection.
Pour justifier leur lâcheté et leur opportunisme, l’argument massue est déjà prêt et on l’entendra beaucoup dans les prochains jours : on ne s’immisce pas dans les affaires internes de l’UGTT, l’essentiel étant que le congrès se passe dans le respect des règles démocratiques. Le fait que ces règles aient été, dès le départ et à la base, transgressées, ils feront tous semblant de ne pas l’avoir constaté. Ah bon ! On n’y a pas pensé…
Quant aux principes démocratiques dont tous ces menteurs se réclament à cor et à cri du matin au soir (l’Etat de droit, le respect des règles, la démocratie interne, la limitation des mandats, etc.), ils peuvent attendre. Et la démocratie repassera; elle ne fait plus partie des urgences nationales, malgré tous les discours mielleux à ce sujet.
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