Les jeunes qui avaient manifesté hier, dimanche 25 juillet 2021, jour d’anniversaire de la république, sur tout le territoire de la Tunisie, avaient un âge moyen de 20 ans. Ils ne sont pas les enfants de la dictature de Ben Ali, et n’ont cure de «l’affect bourguibiste» souvent agité par les élites. C’est ce qui a sans doute pesé dans la décision prise dans la soirée par le président Kaïs Saïed d’actionner l’article 80 de la Constitution lui permettant de prendre en main les destinées d’un pays qui part à la dérive.
Par Helal Jelali *
Ces jeunes âgés de 20 à 30 ans sont en rupture totale avec l’«histoire fabriquée» de leur pays par leurs aînés. Ils refusent le mépris d’une élite, dont la majorité s’est métamorphosée en une oligarchie corrompue et dont la langue de bois inonde les médias. Ils portent en eux une terrible défiance à l’égard des partis politiques, des syndicats et surtout des idéologies tamisées à la sauce tunisienne. Ils sont tétanisés par la souffrance de leurs familles souvent au revenu modeste et considèrent que les gouvernements successifs depuis 2012 n’avaient pas amélioré leurs conditions de vie.
La révolution a été confisquée par les «entristes»
Depuis 10 ans, pour leur grande majorité, ils n’avaient connu que le chômage, la précarité et la pauvreté. Noureddine Bhiri, vous qui avez traité les manifestants de criminels et avez aussi proféré des menaces à leur égard, savez-vous qu’il existe en Tunisie de jeunes travailleurs qui déjeunent avec 900 millimes: un morceau de salami à 700 millimes et une baguette à 200 millimes achetés à l’épicerie? Souvent leurs mains tremblent de peur que leur monnaie ne suffirait pas.
Les manifestants de ce dimanche ont crié les mêmes slogans qui avaient défié le régime de Ben Ali durant les journées de décembre 2010 et janvier en 2011, sans la peur des snipers et des matraques. Pour eux tout est clair : la révolution a été confisquée par les «entristes» : Rcdiste, Nahdhaouis, Nidaistes et pseudo-progressistes… L’affaire de Sidi Hassine, où un adolescent a été molesté en pleine rue par des agents de police, était un syndrome qui ne trompe. La rupture est consommée et l’attentisme n’a plus de place.
Une élite corrompue et politiquement désuète
Dans un précédent article publié ici même : «Monde arabe: entre mutations accélérées et déni des élites», j’écrivais que nous sommes, avec cette nouvelle génération, dans une rupture tectonique sans précédent. Et j’ajoutais que c’est «une jeunesse réaliste, elle ne rêve point, mais cherche à agir sur sa destinée. Bien informée, connectée à la mondialisation marchande, elle cherche insidieusement à casser les codes sociaux et les archaïsmes de la génération précédente. Ce n’est pas une génération révoltée, mais froidement frondeuse qui créé un monde parallèle à celui de de naguère. Elle préfère créer des fissures plutôt que provoquer un big bang comme celui des jeunes français en 1968.»
Notre élite est désuète politiquement, elle n’est pas éclairée et n’a pas compris les mutations sociologiques de notre société. Elle voudrait continuer à gouverner comme Habib Bourguiba et Zine El-Abidine Ben Ali, mais juste avec un vernis démocratique. Conséquence : un échec historique.
Noureddine Bhiri et l’orgueil qui précède la chute
Nos gouvernants n’avaient pas compris que la rupture générationnelle a accouché d’une jeunesse qui voudrait créer son propre «monde», ses nouveaux codes sociaux, et sa propre culture. Historiquement, elle pencherait vers une autonomie loin du conservatisme de leurs parents et d’une société sclérosée par tant d’échecs depuis l’indépendance du pays. Leur crédo est simple : «Vous avez échoué… laissez-nous la place !». Et bonne ou mauvaise nouvelle, à lire la majorité des observateurs indépendants, ils ne vont pas s’arrêter. Depuis quelques temps , ils ont pris goût à la fronde.
M. Bhiri, dans votre déclaration menaçante, publiée en arabe par les médias, vous avez utilisé les mêmes sémantique, syntaxe et rhétorique que Ben Ali, quelques jours avant sa chute.
M. Bhiri, nos vieux disaient : «L’arrogance précède la ruine, l’orgueil précède la chute».
* Ancien journaliste tunisien basé à Paris.
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