Punir les déviants religieux et/ou économiques plaît. Plaît beaucoup. On assiste même actuellement, en Tunisie, à un orgasme national. La plupart ne supportent déjà plus la moindre critique de Kais Saied. Il est vrai qu’il paraît honnête, sérieux, patriote, soucieux de tous, désintéressé, comme s’il était un extraterrestre. Ceci dit, on est en droit de se demander si le président de la république est un «simple» patriote droit que le moindre acte immoral peine et révolte au plus haut point ou bien un visionnaire qui cache un projet, une ambition, une utopie? Car jouer au justicier incorruptible ne peut indéfiniment constituer un programme politique. Agir par décrets ne peut constituer un mode de gouvernement sain, surtout si ça dure trop longtemps.
Par Dr Rafik Mzali *
Il a toujours dit que la constitution mettait à sa disposition des «missiles» qu’il pourrait lancer à tout moment. On s’est moqué de lui pour son inaction jusqu’à ce 25 juillet 2021 où il a sévi. La situation catastrophique économique et politique de la Tunisie lui a permis de s’engouffrer dans la brèche, en se mettant à assainir et gagner en popularité.
Une entreprise louable qui a une partie obscure
L’entreprise à laquelle on assiste, si louable soit-elle, a une partie obscure. Quelle est la feuille de route ? Comment la boucle va être bouclée ? Comment redonner au peuple son droit à la parole, au choix, au vote ?
De cette forte légitimité acquise, Kais Saied veut-il en profiter pour effectuer une révolution politique dont le peuple ne se doute pas ? Rien que parce le peuple en ignore le contenu.
Beaucoup de ce qu’il fait maintenant il l’a déjà annoncé auparavant (compromis avec les hommes d’affaires ayant pompé illégalement l’argent public…). Du coup, on sait dorénavant qu’il tient parole.
Alors voyons voir ce qu’il a annoncé par le passé et qu’il n’a pas encore réalisé. Peut-être y trouverons-nous ce qui nous attend dans les jours ou les mois qui viennent.
Revenons donc à ses premières réflexions de la campagne électorale par exemple. On pourrait dénicher l’esquisse d’une vision. Il apparaît alors :
– qu’il a un grand cœur, qu’il aime le peuple, surtout les couches défavorisées et que s’il trouvait un moyen pour tout leur donner, il le ferait;
– ses discours sont ponctués par des références à l’islam. Il parle de constitution mais la source à ses yeux semble être la religion. L’égalité dans l’héritage serait d’ailleurs un sujet à ne pas traiter;
– il voudrait que chaque petite communauté (ville ou village) puisse élire un représentant censé défendre la volonté de ses propres habitants. Ce dernier doit sauter dès lors qu’il décevrait ses électeurs;
– il déteste les partis et la notion de parti. Il a promis de ne jamais faire de parti ou d’adhérer à un parti. Il donne même l’impression qu’il souhaiterait leur disparition.
Quid de la partie immergée de l’iceberg ?
Il est possible donc que ce qu’a fait Kais Saied depuis le 25 juillet n’est que la partie visible de l’iceberg. La partie immergée serait-elle à nos portes? Va-t-elle nous exploser à la figure? Va-t-elle exploser à la figure de notre démocratie titubante, maladroite? Kais Saied lui proposerait-il juste des antibiotiques ou lui prépare-t-il une amputation et son remplacement par une prothèse concoctée dans son laboratoire personnel où il y a un certain Ridha Lénine, un certain Naoufel Saied et une jeunesse radicalisée qui a beaucoup agi pour son élection et qui ronge son frein ?
Cette explosion révélera-t-elle le véritable Kais Saied, une sorte de Castro salafiste ?
Quel Tunisien rêverait aujourd’hui d’une société aux allures communistes, doublée d’une vision salafiste dans le sens propre du terme ? En tous cas, pour Kais Saied, cela semble lui tenir à cœur. Il ne ferait qu’attendre son heure pour la passer en force.
Or, rappelons-nous qu’au premier tour des présidentielles, Kais Saied n’a recueilli que 19% des voix. Vouloir donc imposer en secret une démocratie musulmane communiste sans partis à l’insu d’un peuple hypnotisé par le plaisir de voir Ennahdha malmenée et les corrompus arrêtés, n’est ni plus ni moins un viol de la volonté populaire, c’est-à-dire de la démocratie !
Ce n’est pas parce que les partis tunisiens et l’ARP, dans une phase d’apprentissage de la démocratie, ont failli, que cela signifie nécessairement que tout le système est à jeter.
Oui, notre Kais Saied à tout l‘air d’être un «Castro musulman» qui se plaît à exercer le pouvoir d’un seul pour imposer un idéal. Ceci expliquerait pourquoi ses paroles sont grandiloquentes, ses yeux restent à demi-fermés pendant ses discours, comme s’il entrait en transe, qu’il ne discute point avec les partis, qu’il s’entoure de militaires… Bref un prophète à qui le bon Dieu n’a pas adressé de message… du moins jusqu’à maintenant.
En attendant c’est Biden qui s’en est chargé. Il fallait bien que quelqu’un se pose des questions au train ou tombent les décrets.
* Chef de service de chirurgie générale au CHU Habib Bourguiba à Sfax.
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