Quand nous avions publié hier matin, dimanche 29 août 2021, un article intitulé «Mais où est passé le très courageux Nabil Karoui?», on était à mille lieux de penser que le patron de Nessma TV et du parti Qalb, allié du parti islamiste Ennahdha, allait être arrêté, quelques heures après, avec son frère, associé et complice, Ghazi Karoui, député Qalb Tounes, cachés dans un appartement dans une ville de l’est-algérien, non loin de la frontière tunisienne. Cette arrestation constitue un tournant que l’on espère décisif dans la guerre contre la corruption, récemment relancée par le président Kaïs Saïed.
Par Ridha Kéfi
Au-delà des circonstances qui l’ont entourée et dont on saura un peu plus au cours des prochains jours, cette arrestation est aussi un tournant dans le parcours trouble et chaotique de ces deux hommes qui, enivrés par un succès rapide et facile, se sont cru un moment au-dessus des lois et se sont permis tous les abus possibles et imaginables: la fraude fiscale, la corruption financière et le blanchiment d’argent, accusations portées contre eux par la justice tunisienne. Deux malins du paysage médiatique et publicitaire, grands communicateurs devant l’Eternel, qui ont cru pouvoir, par la seule magie des effets de manche, des mensonges et des manipulations de toutes sortes, se tailler le costume de leaders politiques, et pire encore, ils ont failli y arriver dans le contexte d’une république bananière habillée d’une sorte de mascarade de démocratie où les contrebandiers, les corrompus, les jihadistes et même les apprentis assassins siègent au parlement.
Nabil et Ghazi Karoui : une affaire «algérienne» ?
Les frères Karoui, qui avaient disparu de la circulation, en Tunisie, depuis la libération conditionnelle de l’aîné, le 22 juin dernier, préparaient, en réalité, un plan pour s’enfuir du pays et disposer de tout l’argent sale qu’ils ont amassé et qui est déposé dans plusieurs comptes bancaires à l’étranger, du Luxembourg à Dubaï, en passant par le Maroc et le Canada, d’autant que la justice tunisienne a aussi, dans une décision pour le moins louche et qui suscite des interrogations, levé le gel de leurs avoirs.
Nabil et Ghazi Karoui, qui ont été aidés dans leur fuite par l’une des figures de la corruption en Algérie (qui se ressemblent s’assemblent), devront d’abord faire face aux accusations dont ils font l’objet en Algérie, où il étaient jusqu’à récemment très actifs dans le domaine de la publicité télévisée et n’y ont pas laissé des souvenirs impérissables de leur passage. En tout cas pas auprès de certains de leurs anciens partenaires, qu’ils ont roulés dans la farine.
La demande d’extradition des deux fuyards, présentée par la Tunisie, était attendue, car, par leur fuite, les frères Karoui ont pour ainsi dire confirmé tout le bien que l’on pense d’eux. Si ce n’est pas un aveu de leur culpabilité, cela lui ressemble beaucoup.
Les conséquences de la chute du «Mandela tunisien»
Quand au «Mandela tunisien», surnom qui était donné par ses stupides zélateurs à Nabil Karoui, pour avoir passé quelques semaines de prison pour évasion fiscale, corruption financière et blanchiment d’argent (quelle classe!), ce sont ses amis et alliés en Tunisie, notamment les islamistes Rached Ghannouchi, Noureddine Bhiri et autre Saïd Ferjani, qui s’étaient dépensés sans compter pour défendre ce criminel à col blanc, qui auront le plus à regretter son arrestation, car cela n’entache pas seulement leur honorabilité (si quelque honneur ils ont encore) et ridiculise, à posteriori, leurs calculs «politichiens» au regard de leurs propres électeurs, le reste des Tunisiens les ayant vomis depuis longtemps, mais pis encore : pour eux, cette arrestation ouvre une boîte de Pandore qu’ils ne pourront pas facilement fermer.
En effet, Les Frères Karoui pourront entraîner beaucoup de monde dans leur chute et on peut s’attendre à des défections, des révélations et des dénonciations, comme cela arrive souvent lorsque la partie s’achève et que le moment de compter les gains et les pertes arrive, l’échec étant, on le sait, orphelin.
Les idiots pas toujours utiles
On ne peut conclure sans une petite pensée pour les Néjib Chebbi, Hamma Hammami et autres Ridha Belhadj, qui se présentent aujourd’hui comme de grands défenseurs de la démocratie dévoyée par le président de la république Kaïs Saïed et qu’on a rarement entendus dénoncer la corruption, on peut imaginer qu’ils sont aujourd’hui dans l’embarras, car leur amitié inconditionnelle pour Nabil et Ghazi Karoui ne sera pas oubliée de sitôt par leurs compatriotes, lesquels se souviendront encore longtemps de leurs passages tonitruants sur Nessma TV pour défendre les deux patrons de cette chaîne «victimes des règlements de comptes politiques», comme ils disent, avec une mauvaise foi qui laisse pantois le plus crédule des téléspectateurs.
Enfin, avec l’arrestation des frères Karoui, c’est la chute des deux premiers gros poissons du système de corruption politico-médiatico-affairiste, qui en annonce sans doute d’autres. Comme qui dirait, la peur a changé de camp, et on va commencer à compter les volte-faces et les retournements de vestes.
Last but not least, à Kapitalis qui a été, dès 2015, l’un des rares sinon l’unique média à dénoncer le système de corruption mis en place par les Nabil Karoui, Chafik Jarraya, Slim Riahi et autres Hafedh Caïd Essebsi, et qui est resté, jusqu’à encore récemment, le seul média à s’engager sur cette voie, alors que la plupart des autres, tous supports confondus, profitaient sans état d’âme de ce même «système», on ne peut qu’être confortés dans notre démarche qui est périlleuse certes et qui nous valut, souvent, des campagnes de dénigrements sur Nessma TV et les médias vivant des largesses et des générosités des frères Karoui, mais qui reste la seule conforme à notre éthique professionnelle et à notre moralité d’hommes et de femmes engagés dans la défense du seul intérêt public.
N’est-ce pas là le rôle premier d’un média que beaucoup de confrères, obnubilés par leurs intérêts personnels, ont tendance à oublier ?
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