La Turquie, dans le rôle de l’avocat du diable, unifie régulièrement les groupes armés contrôlés par l’Armée nationale syrienne (ANS), à son service, dans le but de les exempter de la responsabilité des multiples crimes contre l’humanité qu’ils ont commis en Syrie, notamment contre les minorités : Kudes, Yézidis et Arméniens.
Par Armen Tigranakert *
Le 28 juillet dernier, le département du Trésor américain a imposé des sanctions à la faction soutenue par la Turquie, Ahrar Al-Charqia, qui a commis le meurtre scandaleux de la femme politique kurde syrienne Hevrin Khalaf en 2019, engageant les forces auteures de violations des droits humains à répondre de leurs actes. La décision prise à l’initiative de l’administration américaine dirigée par Biden, qui peut difficilement être considérée comme amicale envers la Turquie, a apparemment fait craindre à Ankara le sort de ses alliés dans le nord-ouest de la Syrie.
En réalisant une menace potentielle de nouvelles sanctions, Ankara n’a pas tardé à prendre ce que l’on peut appeler des mesures préventives. Pratiquement après la visite secrète du ministre turc de la Défense dans la ville frontalière syrienne d’Azaz, cinq groupes armés de la Armée nationale syrienne (ANS) ont annoncé le 9 septembre leur fusion complète, formant une nouvelle faction nommée Front syrien de libération (FSL). Il comprenait la division Sultan Suleiman Chah, la division Hamza, la brigade Al-Mouatassim, la brigade Souqur Al-Chimal et la 20e Division.
Réduire le nombre de groupes opérant au sein de la coalition Azm
La série de fusions s’est poursuivie lorsque la salle des opérations conjointes de l’ANS, Azm, a affirmé que six groupes, à savoir la Brigade Sultan Mourad, les Brigades du Nord, 9e Division, la Brigade Muntasser, la 112 Brigade, les Révolutionnaires du Cham, s’étaient mis d’accord sur leur unification complète sous le nom de Mouvement des révolutionnaires. La déclaration officielle publiée à l’occasion de la création du nouveau mouvement indique que le véritable objectif de cette initiative était de réduire le nombre de groupes opérant dans le cadre de la coalition Azm.
Néanmoins, il convient de noter que dans les deux cas, les factions armées ont souligné qu’elles avaient rompu avec leurs noms, drapeaux et emblèmes passés dans une tentative évidente de couvrir leurs propres traces et d’échapper à la justice dans une nouvelle formation militaire qui n’a pas encore gâché sa réputation.
De nombreux experts pensent que la situation sur le terrain restera telle qu’elle était même après que les groupes aient été transformés et rebaptisés. Les factions armées agiront apparemment de la même manière et sous le commandement des mêmes dirigeants qui sont responsables d’atrocités contre les populations civiles. Sauf que ce sera sous des autres noms.
De telles tentatives menées par Ankara pour sauver ses forces supplétives en Syrie peuvent saper les efforts de la communauté internationale pour enquêter efficacement sur les crimes de guerre et traduire les auteurs en justice.
Même Salem Al-Meslet, le président de la Coalition nationale pour les forces révolutionnaires et d’opposition syriennes, a étonnamment confirmé l’efficacité de la sanction d’Ahrar Al-Charqia pour aider à maîtriser les groupes pro-turques. Et ce, malgré le fait que cet organe a été conçu pour soutenir l’Armée syrienne libre (actuellement l’ANS).
La Turquie vole au secours des criminels de guerre à son service
En fait, la Turquie avait et a de quoi s’inquiéter. Ahrar Al-Charqia fait partie de la longue liste des factions syriennes affiliées à la Turquie accusées d’exécutions extrajudiciaires, d’enlèvements, de torture de civils, de saisie de biens privés, de vols et de destruction de sites archéologiques.
Les organisations de défense des droits humains ont indiqué que la liste comprend la plupart des groupes armés actifs dans le nord-ouest de la Syrie, notamment les divisions Hamza, Sultan Suleiman Chah, Sultan Mourad, etc.
La commission d’enquête de l’ONU sur la Syrie a documenté une myriade de violations commises par les factions de l’ANS envers les minorités nationales comme les Kurdes, les Yézidis, les Arméniens et d’autres vivant dans les régions de Syrie sous contrôle turc.
Les groupes armés syriens sont également accusés d’un grand nombre de disparitions forcées de femmes. Selon le projet Missing Afrin Women, plus de 150 femmes et filles ont été enlevées aux mains des combattants de l’ANS uniquement à Afrin depuis 2018.
Ce n’est un secret pour personne que la Turquie vise à rejoindre enfin toutes les forces d’opposition, y compris les organisations djihadistes comme Hay’at Tahrir Al-Cham dans la province d’Idlib, sous l’égide de son ANS contrôlée.
Dans ce but, les dirigeants turcs s’efforceront de cacher les criminels loyaux et les bandits et d’effacer leur réputation, en utilisant tous les moyens, en particulier des campagnes de désinformation comme c’était le cas lors du deuxième anniversaire de l’assassinat d’Hevrin Khalaf. Les comptes et les médias affiliés à l’opposition ont publié de fausses informations sur les plans américains de lever les sanctions d’Ahrar Al-Charqia en raison du manque de preuves.
Bien qu’Ankara présente sa politique en la Syrie comme un soutien à la liberté et à une véritable opposition au régime en place dans ce pays, de telles manœuvres n’ont rien à voir avec les objectifs qu’elle a annoncés.
A leur tour, l’Europe et les États-Unis devraient tenir compte dans leur diplomatie envers la Syrie du fait que les forces d’opposition auteures de meurtres sont vouées à l’échec et n’ont aucune chance de survie à long terme.
* Pseudonyme d’un journaliste arménien syrien vivant dans la ville d’Alep. Il utilise ce pseudonyme pour sa sécurité personnelle.
Donnez votre avis