Hassine Al-Jaziri pourrait être considéré comme le plus humoriste des poètes tunisiens. Cependant, connu surtout pour son poème sur le ramadan, programmation scolaire oblige, son ironie acerbe est sévère, amplement ancrée dans l’âme populaire qu’elle traduit au plus près des réalités quotidiennes, dans ses contrariétés et ses rêves.
Sa franchise sans ambages, qui serait étonnante de nos jours, met l’accent sur les retors de la société, dans une critique des plus audacieuses.
Né en 1894, Hassine Al-Jaziri est de formation zeitounite traditionnelle qu’il interrompt pour incompatibilité de vision et s’adonner au journalisme et aux idées réformistes. Il crée son propre journal, Annadim, en 1921, avant de rejoindre la Radio Nationale, en 1957, jusqu’à son décès, en 1974.
Tahar Bekri
Eclipse de la lune
Quand la mort plante ses griffes
Tu trouveras qu’aucun talisman n’est utile
Mais quand l’éclipse arrive
Tu ne vois que ceux qui frappent avec leur pilon
Tu vois la foule aux cris qui s’élèvent
Tous de la crainte de mourir demandent pardon
D’aucuns crient avec armes et prétendent
Qu’avec leurs cris l’éclipse s’en aille
Comme j’aurais aimé savoir qui leur a dit
Que les pilons sont utiles aux astres
Non et non je ne révèlerai pas l’amour de Bathna*
Qui lance des you-yous et trotte
L’époux qui crie de tous les péchés je me repens
Me voilà me prosternant
Mais quand l’éclipse disparaît les voilà
Revenir chacun à ce qu’il était
Celui-ci courant vers un bar
Cet autre se dépêchant vers le jeu
Il nous faut donc une éclipse permanente
Peut-être les êtres cesseront-ils leurs méfaits
* Pastiche de Boutheina, dont l’amour fut chanté par le poète arabe omeyyade, udhrite (8ème s) Jamil.
Les prix des filles
(Toujours les âmes vous désirent
Votre amour est leur fragrance et ivresse)
Fille de celui qui est maître des chemins entre nous
Comment y parvenir Y a-t-il moyen de réussir?
Je t’ai demandée à ton père il m’a dit
Montre-moi tes talons Dans ma ceinture il y a une arme
Quelle audace ! Comment demandes-tu une main pareille
Est-ce qu’il est permis de plaisanter avec les grands
Tête d’âne es-tu fonctionnaire à la Direction des finances,
Agriculteur ou propriétaire de biens vivant de leurs revenus
Disant j’ai tant de clefs en ma possession
C’est de la folie ! Comment se prend ma fille
Sans qu’elle draine à ma Caisse des bénéfices
Combien as-tu prévu de milliers pour sa dot
Tout ce qu’il faut pour les festivités?
Je te vois incapable de fournir le nécessaire
Aboie donc Aux étoiles l’aboiement ne fait pas de mal
Est-ce ainsi que ton père avec ce que tu as entendu
M’humilie parmi les hommes sans qu’il soit puni ?
Est-ce parce que je ne suis ni fonctionnaire ni propriétaire
Son insulte à mon égard est permise ?
Comment parvenir au mariage
Quand tout un chacun aspire à la fortune ?
Si je restais célibataire comme un ascète
On dirait qu’il est menteur vagabond sanguinaire
Je m’envolerais dans le ciel et me cacherais
Si j’avais comme le pigeon des ailes
Elles sont devenues en ce temps comme une marchandise
Dont on espère de la vente des bénéfices
Fille qui a barré les chemins entre nous ?
Si je me présente chez vous, dis-lui c’est «le tarrah»*
Quant au mariage il aura lieu quand ton père
Ira dans sa tombe se reposer
* Porteur de pâtes à pain faites maison vers le four de la boulangerie. Coursier au métier de peu d’importance, selon l’opinion populaire.
Maudite vie que la sienne
Elle le violentait parfois elle lui donnait conseil
Se mettait en colère ou lui pardonnait
Une mère insistait auprès de son fils unique
Pour qu’il se marie expliquait le bienfait du mariage
Mon fils n’as-tu pas marre d’une vie triste
Que ne te voie-je désirant de te marier
Je te veux le bonheur ! Comme j’aimerais
Que tu te maries et que je sois heureuse
Tout le bien est dans un foyer avec un couple
Dans lequel chacun veille à la félicité !
Le dialogue fut long il accepta et dit : je permets
Son père s’en est allé chez un ami demandant
La main de sa fille à la réputation sans faille
Mais le père tourna le talon et refusa de lui répondre
Il dit : modère-toi, ne sois pas fâché
Je t’avoue ma franchise
Ne m’honore pas un gendre que je vois
Plongé dans la vallée du péché
Ton fils a-t-il pour la piété volonté
Je le vois au marché noir nager
Il chasse le bien des imprudents
Que puis-je espérer d’un gendre qui s’amuse
Maudite vie que la sienne puisqu’il gagne
Des méfaits dans les marchés obscurs
Non et non je ne donnerai pas ma fille
Pour qu’on dise il ressemble à ceux qui pèchent
© Trad. de l’arabe par Tahar Bekri
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