On a tendance à attribuer le soft power du Qatar à la puissance de ses médias, comme ceux du groupe Al-Jazeera. Dans un entretien avec le journal koweïtien Al-Qabas, le 26 février 2022, l’ancien ministre des Affaires étrangères du Qatar, Cheikh Hamad Ben Jassem Al-Thani, membre de la famille princière de l’émirat gazier, entre 1992 et 2013, a révélé une autre source de la puissance médiatique de son pays : l’argent versé régulièrement à de nombreux journalistes à travers le monde arabe. Vidéo.
«Il y avait des journalistes que nous rémunérions. Certains sont devenus maintenant des députés et des patriotes. Dans plusieurs pays. On les rémunérait. On les récompensait chaque année. Certains percevaient même un salaire. Tous les pays arabes faisaient cela. En tout cas la majorité d’entre eux», a déclaré Cheikh Hamad Ben Jassem Al-Thani, en ajoutant : «Laissons de côté, s’il vous plait, le problème des médias», laissant entendre qu’il ne souhaitait pas ouvrir cette boîte de Pandore.
Cependant, le problème avec ce genre de déclaration, c’est qu’elle aggrave l’atmosphère de suspicion généralisée et voue aux gémonies tous les journalistes arabes et les médias qui les emploient, et non ceux d’entre eux qui émargeaient (et émargent encore) sur les générosités des dictateurs et des princes de la région.
Il reste que Cheikh Hamad Ben Jassem Al-Thani n’exonère nullement son pays en cherchant à noyer le poisson. «Tous les autres pays arabes le font», dit-il pernicieusement, ce qui n’est pas totalement faux, ni totalement vrai. Cela ne veut pas dire non plus que tous les journalistes arabes sont des vendus. C’est au lecteurs, auditeurs et téléspectateurs de faire la part des choses et de ne pas généraliser. Ceux qui sont soudoyés par des Etats ou de grands groupes privés finissent souvent par se trahir eux-mêmes par leurs «performances».
Pour nous, Tunisiens, cette confession ne nous apprend rien de nouveau. En effet, chez nous, ce ne sont pas seulement des journalistes qui sont soudoyés par le Qatar, mais des hommes politiques. Car l’ancien président Moncef Marzouki, avocat inconditionnel du Qatar, est rémunéré, d’une façon ou d’une autre, par Doha : ne se fait-il pas payer des piges par Al-Jazeera ?
Il est aussi de notoriété publique que le parti islamiste Ennahdha émarge sur l’émirat gazier où ses dirigeants se sentent comme chez eux. C’est le cas de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Rafik Abdessalem Bouchlaka, ex-chercheur rémunéré par Al Jazeera Centre for Studies. Idem pour son épouse, Soumaya Ghannouchi, la fille du président du parti islamiste tunisien, Rached Ghannouchi. Et la liste, vous l’imaginez, est très longue.
Imed Bahri
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