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Le poème du dimanche : «Soliloques» (extraits) de Kateb Yacine

Le grand écrivain algérien, Kateb Yacine – on devrait écrire Yacine Kateb – n’a que 15 ans quand il commence à écrire  »Soliloques », recueil qui sera publié, en 1946, après les événements dramatiques de Sétif, le 8 mai 1945, où l’élève Kateb, fut arrêté et emprisonné.

Kateb, dira plus tard, que «dans ces poèmes de jeunesse, il y a deux thèmes majeurs : l’amour et la révolution». Ils constituent, pour lui, «l’acte de naissance de Nedjma», son célèbre roman. Il n’est pas difficile d’écrire, qu’à la base de l’œuvre de Kateb et de son écriture, il y a, la poésie.

Né en 1929, à Constantine, il est poète, romancier, dramaturge, journaliste. Intellectuel engagé, s’affirmant algérien, ancré dans la berbérité, il considère son écriture en langue française comme «un butin de guerre». Il fit du théâtre une cause militante, jusque dans les milieux de l’émigration en France, il décède à Grenoble, en 1989.

Œuvres : Soliloques, poésie, 1946, rééd. La découverte, 1991; Nedjma, roman, 1956 (trad. en arabe par Mohamed Koubaâ, Ed. Cérès); Le cercle de représailles, théâtre, 1959; Le polygone étoilé, roman, 1966; L’homme aux sandales de caoutchouc, théâtre, 1970; L’œuvre en fragments, 1986 (établie par Jacqueline Arnaud).

Tahar Bekri

I

En des mondes

Par moi seul parcourus,

Glissent des mirages sans nom.

Il fut un rêve

O si clair !…

Où j’allais, mes chimères

Fleurissant,

Cependant qu’aux cafés maures

Chevauchait l’esprit

Des diwans antiques…

Ainsi, revenu

D’un sortilège,

J’ai bu aux sources du désespoir.

II

J’aime et suis pendu

A des arbres de folie…

Souvent, quand monte

Le cri des amours immolées,

L’on voit aller, se dressant,

Des spectres de jeunesse…

Pouvoir

Se désaltérer aux «zâatars»

Des yeux d’innocence !

Dormir, mourir,

Pour s’abreuver aux nectars

Des âmes mouillées…

Errer par les soirs

Aux refuges

Où dort

Un parfum sacrilège…

Une autre nymphe

A pris son vol

Et se posera

Quand ces soirs seront tristes.

J’ai fermé les yeux

A la gazelle timide

Qui vint, l’autre soir

Bramer aux portes de l’espoir,

Et j’ai voulu crier,

Comme si le cœur parlait

Au cours du rêve…

III

Enfin, ivre

D’un vin de pensées mortes,

J’ai cuvé ma folie.

O partir !

Et pourtant…

Partir c’est délaisser.

Pourquoi ne point regarder

Ce qui retient,

Car seuls les morts

Partent les yeux fermés !

Pourquoi ne point comprendre

Que les sanglots sont les échos

Des âmes caverneuses…

Car partir dans la poussière

D’objets chéris,

C’est briser quelque cœur

Et mettre un pied dessus !

Imprimerie Le réveil bônois, 1946, Annaba.

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