Réagissant dans un post Facebook hier, samedi 22 avril 2022, à l’amendement de la loi électorale par le président Kais Saied, qui s’est attribué par la même occasion un pouvoir exorbitant sur la prochaine Instance supérieure indépendante des élections (Isie), l’ancien président par intérim Moncef Marzouki n’a pas trouvé de mots assez forts pour dénoncer ce qu’il a qualifié de «coup d’État qui continue de démanteler toutes les institutions de l’État de droit». Il rêve à haute voix de voir Saied connaître bientôt le sort de Ben Ali, en étant destitué par un mouvement populaire que les islamistes et leurs alliés récupéreront, dans une sorte de remake de la révolution de 2011.
Par Imed Bahri
«Ô peuple, ouvre les yeux ! Avec la nationalisation de la Commission électorale indépendante, le putschiste (allusion au président Saïed, Ndlr) continue de démanteler toutes les institutions de l’État de droit nées à la suite de cinq décennies de luttes qui ont abouti à la révolution bénie. Alors qu’une poignée d’idiots continue de crier : »Vas y Kais, le peuple est avec toi ». Et à l’autre bout du spectre, il y a des gens naïfs (ou qui feignent de l’être !) qui crient dialogue, dialogue…», écrit l’ancien président sur un ton méprisant pour le peuple qui ne l’a d’ailleurs jamais porté dans son cœur ni élu, puisqu’il a été placé au palais de Carthage par ses employeurs, les dirigeants du parti islamiste Ennahdha.
Un président illégitime, anormal et incompétent
«Ô peuple, la Tunisie est affligée d’un président illégitime, anormal, incompétent et historiquement arriéré, qui s’inquiète du sort du mulet de crainte de subir le courroux de Dieu», ajoute Marzouki dans le même post, par allusion à cette phrase du calife Omar Al-Khattab que cite souvent le président Saied : «Si un mulet trébuche en Irak, Dieu m’en demandera compte en me disant: « Pourquoi, ô Omar, ne lui as-tu pas aplani la route? »».
«Ô peuple, cet homme dangereux pousse chaque jour la Tunisie au bord du gouffre. Et encore une fois, la solution réside dans le rassemblement des forces légitimes (avec une destitution au plus vite par le parlement et un procès) et des manifestations de rue pour faire passer un message clair. Encore une fois, oui au dialogue, et entre les seules forces politiques hostiles au putsch, sur les mécanismes de conduite de la résistance civile pour mettre fin au coup d’Etat, et pas pour coexister avec lui», ajoute encore Marzouki, qui appelle ainsi ouvertement au renversement d’un président élu en 2019 par près de 73% des voix exprimées et qui, deux ans et demi après, demeure la personnalité politique la plus populaire en Tunisie, ce dont attestent régulièrement les sondages d’opinions.
Poursuivant sur un ton goguenard, l’ancien président par intérim écrit : «Quiconque parle d’une autre formule pour coexister avec le putschiste, excusez-le de ne pas comprendre la psychiatrie, mais je ne l’excuse pas de ne pas comprendre la politique telle que pratiquée par le putschiste, qui est claire, comme un train mis sur les rails et programmé pour aller jusqu’au bout pour tomber dans le vide, lui et tous les passagers.»
Comme pour éviter de braquer les institutions militaire et sécuritaire, qui semblent jusque-là soutenir le président de la république, Marzouki écrit : «Encore une fois, oui au dialogue avec les institutions militaires et sécuritaires pour les rassurer sur les limites des suites judiciaires, qui devraient se concentrer sur le putschiste et sa bande.»
Le rêve d’un remake de la révolution de 2011
«Encore une fois, laisser ce dangereux personnage arriver au référendum (sur les réformes politiques prévu pour le 25 juillet, Ndlr), dont le résultat est décidé à l’avance, comme on s’y attendait depuis le début, se débarrasser de la commission électorale indépendante et organiser des élections folkloriques, c’est accepter le règne du roi Qaraqosh, qui fera de nous la risée cette nation alors que nous étions sa fierté», écrit Marzouki, par allusion au roi Qaraqosh qui, dans la mythologie arabe, est l’équivalent d’Ubu roi dans la tradition occidentale. Avant de conclure par cet avertissement : «Qu’il (Kais Saied, Ndlr) assume toutes ses responsabilités devant sa conscience et devant l’histoire, et qu’il ne vienne pas demain, quand la catastrophe économique, politique et psychologique sera totale, pour dire : « Par Dieu, j’ai voulu le bien du pays, et par Dieu, je n’imaginais pas qu’il oserait le faire » (réinstaurer la dictature, Ndlr). Non, cette fois, personne ne vous excusera».
Dans ce post Moncef Marzouki trahit son désir de voir Kais Saied connaître bientôt le sort de l’ancien président Zine El-Abidine Ben Ali, en étant destitué par un mouvement populaire que les islamistes et leurs alliés récupéreront, dans une sorte de remake de la révolution de 2011. C’est ce qu’on appelle un rêve éveillé, qui a d’autant moins de chance de se réaliser que l’écrasante majorité des Tunisiens en veulent moins à Kais Saied qu’à ses opposants, qu’ils considèrent comme les principaux responsables de la détérioration de la situation dans le pays au cours des dix dernières années.
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