La lenteur enregistrée dans la mise en œuvre du processus de decashing offre un exemple édifiant de la mauvaise gouvernance en Tunisie où les actes suivent rarement les paroles. Pourtant, notre pays ne manque pas d’expertise dans le secteur des TIC, où, dans les années 1990, il était en avance sur la plupart des pays africains qui l’ont aujourd’hui devancé dans ce domaine.
Par Amine Ben Gamra *
Le «decashing», un système de paiement fondé sur les nouvelles technologie et qui permet de limiter la circulation de l’argent cash, est une alternative intéressante pour faire face à l’économie informelle, un secteur qui représente, aujourd’hui, en Tunisie, selon certaines estimations, plus de 50% du PIB, privant ainsi l’Etat de recettes fiscales indispensables à son budget, qu’il peine d’ailleurs à financer sans recourir à l’endettement extérieur.
Depuis le temps qu’on parle de la nécessité d’y faire face, l’économie informelle, alimentée par les réseaux de contrebande, continue, malheureusement, de prospérer dans les régions les plus pauvres, entre Gafsa et la frontière algérienne et Ben Guerdane et la frontière libyenne. Ce sont des régions traditionnellement pauvres car ignorées des planificateurs de Tunis et où de nombreux jeunes n’ont aucun espoir de trouver un emploi et sont souvent obligés d’émigrer illégalement vers l’Europe ou d’aller chercher du travail dans les régions côtières plus riches.
Les mafias de la contrebande font la loi dans les régions
Les plus entreprenants de ces jeunes, qui veulent créer une entreprise pour se prendre en charge, se retrouvent souvent face à des fonctionnaires indifférents et arrogants. Ils s’engagent alors dans une course aux papiers, confrontés à une réglementation complexe et tatillonne et à des banques rétives qui hésitent à leur accorder des prêts. Et c’est ainsi que beaucoup d’entre eux, en désespoir de cause, baissent les bras, ou se mettent au service des mafias de la contrebande, lesquelles continuent d’amasser d’énormes fortunes en cash.
C’est pourquoi il est essentiel de purger cette énorme quantité d’argent informel qui circule dans le pays alimentant des trafics de toutes sortes. C’est l’une des conditions pour la relance de l’économie, laquelle ne saurait être assurée sans contrer les réseaux criminels qui prospèrent en profitant de l’affaiblissement de l’autorité de l’État. Car la poursuite des activités de type mafieux constitue une menace pour la stabilité de la Tunisie et le laxisme des pouvoirs publics face aux activités criminelles ne saurait durer sans mettre en péril l’avenir même du pays. Et pour cause : la fuite des capitaux, alimentée par les réseaux de l’économie informelle, est un problème que la Tunisie traîne depuis l’ère de la dictature et qui a perduré et s’est même aggravé durant la transition démocratique. C’est un des principaux freins au développement du pays.
Des montants faramineux échappent aux caisses de l’État, qui fait face à une grave crise de surendettement (sa dette représentant désormais près de 100% de son PIB). Et qui manque de ressources essentielles pour financer ses approvisionnements, les salaires de ses 700 000 fonctionnaires, ses dépenses de gestion, et bien entendu, pour honorer ses engagements envers ses bailleurs de fonds.
Mettre à niveau les infrastructures nécessaires à la transformation digitale
La réduction de la circulation du cash, qui est nécessaire pour faire face à cette situation, n’est cependant possible que si les moyens pour effectuer des transactions financières numériques sont largement disponibles et à faible coûts. Aussi, le gouvernement doit-il s’engager dans des politiques visant à inciter les investissements dans les TIC et à créer des écosystèmes simplifiant les démarches administratives pour assurer l’enregistrement des entreprises, tout en offrant des subventions et des allègements fiscaux.
Afin d’élargir la portée de la digitalisation, le gouvernement doit aussi veiller à mettre à niveau les infrastructures nécessaires à la transformation digitale pour rendre l’inclusion financière numérique plus attrayante pour les entreprises que si elles opéraient sur le marché non officiel.
Officiellement, la Tunisie est engagée dans le processus de transformation digitale indispensable à la formalisation de l’économie, mais les efforts consentis jusque-là afin d’assurer une meilleure inclusion sociale et économique restent insuffisants et sans grand effet.
Voilà où réside le drame de l’économie tunisienne, à bout de souffle et en fin de cycle, et qui n’arrive pas à se réformer, à corriger ses tares structurelles et à se relancer en tenant compte des nouvelles réalités nationales et internationales. La lenteur enregistrée dans la mise en œuvre du processus de decashing offre à cet égard un exemple édifiant d’une gouvernance où les actes suivent rarement les paroles.
Pourtant, notre pays ne manque pas d’expertise dans le secteur des TIC, où, dans les années 1990, il était en avance sur la plupart des pays africains qui l’ont aujourd’hui devancé.
* Expert comptable, commissaire aux comptes, membre de l’Ordre des experts comptable de Tunisie.
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