Gros plan : ‘‘𝐿’𝐴𝑟𝑚𝑒́𝑒 𝑑𝑒𝑠 𝑜𝑚𝑏𝑟𝑒𝑠’’ ou le chant des résistants

Le 6 mars dernier, la chaîne franco-allemande Arte a diffusé 𝐿’𝐴𝑟𝑚𝑒́𝑒 𝑑𝑒𝑠 𝑜𝑚𝑏𝑟𝑒𝑠 en première partie de soirée. Elle le repassera, aujourd’hui, 16 mars, vers 13h30mn. Un film de Jean-Pierre Melville tiré d’un roman de Joseph Kessel sur la résistance à la barbarie.

Par Mohamed Sadok Lejri *

Il est difficile d’évoquer 𝐿’𝐴𝑟𝑚𝑒́𝑒 𝑑𝑒𝑠 ombres (1969), qui est sans doute le plus beau film de Jean-Pierre Melville et l’un des chefs-d’œuvre du cinéma français, sans céder à la tentation de l’emphase et de l’hyperbole, sans tremblements dans le cœur et dans la voix, sans se laisser envahir par une sensation intense et par l’émotion que suscite la vue de ces hommes qui ont lutté anonymement dans l’ombre, lorsque que tout semblait perdu dans la France du début des années 1940.

Ces ombres dépeints magistralement dans le film de Melville ne sont pas sans nous rappeler celles de personnages ayant réellement existé. Le réalisateur s’est, en effet, inspiré de parcours de résistants.

Des héros à taille humaine

D’ailleurs, Melville, de son vrai nom Jean-Pierre Grumbach, a conservé son nom de guerre après la libération pour en faire son nom de scène – ce pseudonyme est un hommage au romancier américain, Herman Melville, l’auteur de Moby Dick ou la Baleine blanche –. J.P.M. s’était engagé dans la Résistance sur le sol français, avant de passer à Londres en 1942 pour rejoindre la France Libre.

L’authenticité du récit ramène les héros à leur taille humaine; c’est à l’opposé des héros qui peuplent les œuvres consacrées à la Résistance. Les membres du réseau dont il s’agit dans ce film ne sont pas tout à fait irréprochables; ces derniers sont plongés dans un univers de contradictions duquel ils ne peuvent s’échapper. Tantôt héroïques, tantôt vides d’empathie et cyniques, voire cruels envers Mathilde (Simone Signoret), la femme d’une bravoure légendaire qui est devenue une figure incontournable du réseau, les résistants ne sont pas toujours présentés sous un jour glorieux.

Mine de rien, 𝐿’𝐴𝑟𝑚𝑒́𝑒 𝑑𝑒𝑠 𝑜𝑚𝑏𝑟𝑒𝑠 met aussi en exergue la déshumanisation de ceux qui offrent leur vie pour défendre l’humanité contre la barbarie; ce film les dépeint aussi bien dans leur grandeur que dans leur déchéance. On est loin de l’image flatteuse et idyllique montrant une France, avec à sa tête des résistants charismatiques et vertueux, unanimement engagée contre l’occupant allemand.

Un arrachement à soi

Dans certaines scènes, un parallèle est même implicitement établi avec les nazis qu’ils combattent, notamment celle où ils doivent tuer un traître. L’on ne peut la comprendre autrement, cette scène, que comme un arrachement à soi.

En effet, les résistants, des gens non habitués à la violence et qui étaient bien installés dans la vie avant l’occupation allemande, se sont faits violence pour exécuter le jeune qui les a trahis. La maladresse dont ils ont fait preuve au cours de la mise à mort confère à cette scène un aspect hilarant. 

𝐿’𝐴𝑟𝑚𝑒́𝑒 𝑑𝑒𝑠 𝑜𝑚𝑏𝑟𝑒𝑠 est, sans doute, le film le plus abouti du réalisateur français. Il est marqué par la rigueur de la construction, mais aussi par la solidité de la direction d’acteurs et du thème dramatique.

Dans des plans soigneusement élaborés, Melville filme ces personnages au plus près. Il saisit leur détresse et leur peur avec infiniment de justesse, interroge leurs visages tendus qui témoignent de leur solitude intérieure et de leur isolement.

Servir une cause juste

En même temps, sous l’impulsion de Philippe Gerbier (Lino Ventura), une figure œcuménique, d’inspiration gaulliste et qui fait le trait d’union entre les diverses composantes politiques de la Résistance, les ombres deviennent membres d’une même famille et partagent une amitié fraternelle fondée sur la souffrance. Ces hommes partagent un lien très fort qui ne se forge qu’en présence de la mort. Bien qu’ils n’en soient pas payés par la gloire, ces résistants de l’ombre étaient mus par l’espoir du triomphe d’une cause plus grande qu’eux-mêmes : l’amour de la France. Leur seule récompense est ce plaisir pur et désintéressé de servir une cause juste.

𝐿’𝐴𝑟𝑚𝑒́𝑒 𝑑𝑒𝑠 𝑜𝑚𝑏𝑟𝑒𝑠 est, en réalité, l’adaptation d’un roman de Joseph Kessel. Ce dernier décrivait mieux que quiconque la fraternité virile qui se forge au sein des combats, lorsque les hommes sont mis à l’épreuve dans les conditions les plus extrêmes de la lutte : frayeur, persécution, mortification, torture, sacrifice… La fraternité en question sera le thème privilégié de son œuvre romanesque.

La vie de cet écrivain-journaliste fut des plus intenses, un vrai roman : il s’est engagé dans l’aviation durant la Première Guerre mondiale, a participé à la guerre d’Espagne en 1936 et à la Seconde Guerre mondiale en tant que résistant à l’occupant allemand. Après être passé à Londres, il a été promu chef d’escadrille. Ainsi, le roman est en partie autobiographique, des épisodes et des faits romancés ont été mêlés à des personnages et des souvenirs bien réels.

Ainsi, le roman est en partie autobiographique, des épisodes romancés ont été mêlés à des personnages et des souvenirs bien réels. C’est de la fiction inspirée par des faits tragiquement vécus par certains mélangée à des morceaux de chair.

Le chant des partisans

𝐿’𝐴𝑟𝑚𝑒́𝑒 𝑑𝑒𝑠 𝑜𝑚𝑏𝑟𝑒𝑠 a été rédigé en 1943. D’ailleurs, c’est à cette époque que Joseph Kessel écrit, avec son neveu, le futur brillant romancier et académicien Maurice Druon, Le Chant des partisans qui deviendra l’hymne de ralliement des résistants français et dont voici le texte :

𝐴𝑚𝑖, 𝑒𝑛𝑡𝑒𝑛𝑑𝑠-𝑡𝑢 𝑙𝑒 𝑣𝑜𝑙 𝑛𝑜𝑖𝑟 𝑑𝑒𝑠 𝑐𝑜𝑟𝑏𝑒𝑎𝑢𝑥 𝑠𝑢𝑟 𝑛𝑜𝑠 𝑝𝑙𝑎𝑖𝑛𝑒𝑠

𝐴𝑚𝑖, 𝑒𝑛𝑡𝑒𝑛𝑑𝑠-𝑡𝑢 𝑙𝑒𝑠 𝑐𝑟𝑖𝑠 𝑠𝑜𝑢𝑟𝑑𝑠 𝑑𝑢 𝑝𝑎𝑦𝑠 𝑞𝑢’𝑜𝑛 𝑒𝑛𝑐ℎ𝑎𝑖̂𝑛𝑒

𝑂ℎ𝑒́, 𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑠𝑎𝑛𝑠, 𝑜𝑢𝑣𝑟𝑖𝑒𝑟𝑠 𝑒𝑡 𝑝𝑎𝑦𝑠𝑎𝑛𝑠 𝑐’𝑒𝑠𝑡 𝑙’𝑎𝑙𝑎𝑟𝑚𝑒

𝐶𝑒 𝑠𝑜𝑖𝑟 𝑙’𝑒𝑛𝑛𝑒𝑚𝑖 𝑐𝑜𝑛𝑛𝑎𝑖̂𝑡𝑟𝑎 𝑙𝑒 𝑝𝑟𝑖𝑥 𝑑𝑢 𝑠𝑎𝑛𝑔 𝑒𝑡 𝑑𝑒𝑠 𝑙𝑎𝑟𝑚𝑒𝑠.

𝑀𝑜𝑛𝑡𝑒𝑧 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑚𝑖𝑛𝑒, 𝑑𝑒𝑠𝑐𝑒𝑛𝑑𝑒𝑧 𝑑𝑒𝑠 𝑐𝑜𝑙𝑙𝑖𝑛𝑒𝑠, 𝑐𝑎𝑚𝑎𝑟𝑎𝑑𝑒𝑠,

𝑆𝑜𝑟𝑡𝑒𝑧 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑝𝑎𝑖𝑙𝑙𝑒 𝑙𝑒𝑠 𝑓𝑢𝑠𝑖𝑙𝑠, 𝑙𝑎 𝑚𝑖𝑡𝑟𝑎𝑖𝑙𝑙𝑒, 𝑙𝑒𝑠 𝑔𝑟𝑒𝑛𝑎𝑑𝑒𝑠,

𝑂ℎ𝑒́, 𝑙𝑒𝑠 𝑡𝑢𝑒𝑢𝑟𝑠, 𝑎̀ 𝑣𝑜𝑠 𝑎𝑟𝑚𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑣𝑜𝑠 𝑐𝑜𝑢𝑡𝑒𝑎𝑢𝑥, 𝑡𝑖𝑟𝑒𝑧 𝑣𝑖𝑡𝑒,

𝑂ℎ𝑒́, 𝑠𝑎𝑏𝑜𝑡𝑒𝑢𝑟𝑠, 𝑎𝑡𝑡𝑒𝑛𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑎̀ 𝑡𝑜𝑛 𝑓𝑎𝑟𝑑𝑒𝑎𝑢, 𝑑𝑦𝑛𝑎𝑚𝑖𝑡𝑒.

𝐶’𝑒𝑠𝑡 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑞𝑢𝑖 𝑏𝑟𝑖𝑠𝑜𝑛𝑠 𝑙𝑒𝑠 𝑏𝑎𝑟𝑟𝑒𝑎𝑢𝑥 𝑑𝑒𝑠 𝑝𝑟𝑖𝑠𝑜𝑛𝑠 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑛𝑜𝑠 𝑓𝑟𝑒̀𝑟𝑒𝑠

𝐿𝑎 ℎ𝑎𝑖𝑛𝑒 𝑎̀ 𝑛𝑜𝑠 𝑡𝑟𝑜𝑢𝑠𝑠𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑙𝑎 𝑓𝑎𝑖𝑚 𝑞𝑢𝑖 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑝𝑜𝑢𝑠𝑠𝑒, 𝑙𝑎 𝑚𝑖𝑠𝑒̀𝑟𝑒

𝐼𝐼 𝑦 𝑎 𝑑𝑒𝑠 𝑝𝑎𝑦𝑠 𝑜𝑢̀ 𝑙𝑒𝑠 𝑔𝑒𝑛𝑠 𝑎𝑢 𝑐𝑟𝑒𝑢𝑥 𝑑𝑒𝑠 𝑙𝑖𝑡𝑠 𝑓𝑜𝑛𝑡 𝑑𝑒𝑠 𝑟𝑒̂𝑣𝑒𝑠

𝐼𝑐𝑖, 𝑛𝑜𝑢𝑠, 𝑣𝑜𝑖𝑠-𝑡𝑢, 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑜𝑛 𝑚𝑎𝑟𝑐ℎ𝑒, 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑜𝑛 𝑡𝑢𝑒 𝑜𝑢 𝑜𝑛 𝑐𝑟𝑒̀𝑣𝑒.

𝐼𝑐𝑖, 𝑐ℎ𝑎𝑐𝑢𝑛 𝑠𝑎𝑖𝑡 𝑐𝑒 𝑞𝑢’𝑖𝑙 𝑣𝑒𝑢𝑡, 𝑐𝑒 𝑞𝑢’𝑖𝑙 𝑓𝑎𝑖𝑡 𝑞𝑢𝑎𝑛𝑑 𝑖𝑙 𝑝𝑎𝑠𝑠𝑒

𝐴𝑚𝑖, 𝑠𝑖 𝑡𝑢 𝑡𝑜𝑚𝑏𝑒𝑠, 𝑢𝑛 𝑎𝑚𝑖 𝑠𝑜𝑟𝑡 𝑑𝑒 𝑙’𝑜𝑚𝑏𝑟𝑒 𝑎̀ 𝑡𝑎 𝑝𝑙𝑎𝑐𝑒,

𝐷𝑒𝑚𝑎𝑖𝑛 𝑑𝑢 𝑠𝑎𝑛𝑔 𝑛𝑜𝑖𝑟 𝑠𝑒́𝑐ℎ𝑒𝑟𝑎 𝑎𝑢 𝑔𝑟𝑎𝑛𝑑 𝑠𝑜𝑙𝑒𝑖𝑙 𝑠𝑢𝑟 𝑛𝑜𝑠 𝑟𝑜𝑢𝑡𝑒𝑠

𝐶ℎ𝑎𝑛𝑡𝑒𝑧, 𝑐𝑜𝑚𝑝𝑎𝑔𝑛𝑜𝑛𝑠, 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑙𝑎 𝑛𝑢𝑖𝑡 𝑙𝑎 𝑙𝑖𝑏𝑒𝑟𝑡𝑒́ 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑒́𝑐𝑜𝑢𝑡𝑒.

𝐴𝑚𝑖, 𝑒𝑛𝑡𝑒𝑛𝑑𝑠-𝑡𝑢 𝑙𝑒𝑠 𝑐𝑟𝑖𝑠 𝑠𝑜𝑢𝑟𝑑𝑠 𝑑𝑢 𝑝𝑎𝑦𝑠 𝑞𝑢’𝑜𝑛 𝑒𝑛𝑐ℎ𝑎𝑖̂𝑛𝑒

𝐴𝑚𝑖, 𝑒𝑛𝑡𝑒𝑛𝑑𝑠-𝑡𝑢 𝑙𝑒 𝑣𝑜𝑙 𝑛𝑜𝑖𝑟 𝑑𝑢 𝑐𝑜𝑟𝑏𝑒𝑎𝑢 𝑠𝑢𝑟 𝑙𝑎 𝑝𝑙𝑎𝑖𝑛𝑒…

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