L’attaque contre la synagogue de la Ghriba, à Djerba, le 9 mai courant, avait bien une connotation antisémite, mais on ne peut pas parler de résurgence de l’antisémitisme en Tunisie, estime l’historien Habib Kazdaghli.
Interrogé sur cette attaque qui a fait cinq morts – deux pèlerins juifs et trois membres des forces de sécurité – et les réactions qu’elle a provoquées en Tunisie, le spécialiste de l’histoire des juifs et d’autres communautés a admis, dans un entretien accordé au Nouvel Ob, que «le tueur, un garde national, a visé des juifs, en choisissant le moment du pèlerinage de la Ghriba, et les trois collègues tués l’ont été car ils étaient un obstacle : il voulait assassiner le maximum de juifs»
L’antisémitisme évoqué à l’occasion de cette attaque, la troisième ayant ciblé la synagogue de la Ghriba, après celles de 1985 (5 morts dont 4 juifs) et 2002 (21 morts en majorité des touristes allemands), ne concerne pas l’Etat tunisien en tant que tel, mais qualifie l’acte commis par l’assaillant, souligne Kazdaghli.
Tout en déplorant la «gangrène populiste» qui gagne du terrain dans le pays, y compris les cercles politiques et universitaires, et particulièrement les «fanatiques nationalistes arabes» et les «dogmatiques d’extrême gauche», qui jouent sur la confusion entre juifs et Etat d’Israël, Habib Kazdaghli ne croit pas qu’il y a une résurgence de l’antisémitisme en Tunisie. «Il n’y a pas d’hostilité envers la communauté juive qui vit paisiblement à Djerba, où je me rends au moins deux fois par an», souligne-t-il
Dans le même entretien, il explique les conditions historiques ayant présidé au départ des juifs de Tunisie, qui ne sont plus aujourd’hui qu’un millier, contre 120 000 après la Seconde Guerre mondiale et 100 000 au moment de l’indépendance en 1956.
«Il y a eu une première vague de départ en Israël après la Seconde Guerre mondiale (estimée à 25 000 personnes entre 1948 et 1954). Après l’indépendance, une partie des juifs tunisiens, qui avaient obtenu la nationalité française, ont décidé de partir en France. Puis vient la crise de Bizerte en 1961. Elle provoque un conflit de loyauté et pousse beaucoup de juifs à quitter la Tunisie. Mais la grande cassure s’opère en 1967. A la suite de la guerre des Six-Jours, des émeutes antisémites éclatent dans tous les pays arabes. Lors du pogrom de Tunis, des magasins juifs sont pillés, la synagogue est incendiée. Après ces événements, la communauté a été réduite comme peau de chagrin et s’est concentrée notamment à Djerba, d’où l’importance symbolique de l’île et du pèlerinage de la Ghriba», rappelle l’historien.
I. B.
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