Omerta, intimidation, et ordures : Haro sur la loi !

Il y a dans notre pays un manque de civisme généralisé qui n’est l’apanage d’aucune classe sociale en particulier et qui menace les fondements de l’État bien plus que ne le feraient tous les hommes d’affaires indélicats. 

Dr Mounir Hanablia

Sur la route qui monte dans un quartier cossu vers un panorama que l’ancienne puissance occupante a réservé à la mémoire de sa gloire aujourd’hui disparue, une benne à ordures a depuis des années élu domicile sur un terrain trop petit pour être construit et dominant une rue en contrebas. Nul ne sait comment ses roues l’y ont amenée. Mais comme la benne ne peut pas contenir tous les détritus du quartier, les habitants ont pris l’habitude de l’utiliser comme décharge autant pour les sacs poubelles que les débris d’arbres et de plantes issus des jardins voisins et déposés par ceux qui ne veulent pas payer les frais du transport vers les lieux dûment établis à cet effet.

Il va sans dire que ce terrain étant situé au pied d’une côte, les eaux pluviales qui y stagnent le transforment au gré des précipitations devenues rares en cloaques. Et lorsque les boues sèchent avec le soleil, on y découvre parfois les traces mystérieuses des pneus larges et profonds de tracteurs venus y creuser avec leur lame et transformer la pente douce en un toboggan vers la rue en contrebas, où il est préférable de ne pas s’aventurer. Personne n’en connaît la provenance, et l’autorité compétente a nié y avoir envoyé un engin, ce que l’on croit volontiers.

Les conducteurs du secteur public et des sociétés, dûment titularisés, ne sont pas assez téméraires pour se risquer dans une fondrière en pente pour en accroître la dépression en creusant la terre au risque de tomber dans la rue adjacente quelques mètres plus bas. Le franc tireur qui l’a fait était apparemment motivé par un travail grassement payé; à l’instar de cet autre (ou le même?) qui il y a quelques années avait réveillé le voisinage avec son engin un jour férié au début de l’été à 7 heures du matin en déversant à grand bruit les briques qui allaient servir à la construction d’un mur illégal, entièrement fini et peint en 48 heures. Il avait fallu près de quatre mois de procédure ainsi que l’intervention de l’autorité à son plus haut niveau pour en obtenir la destruction.

Engin, muraille grillagée et poutres en béton

C’est encore un engin qui avait sans aucun doute déposé aux premières lueurs du jour, dans l’ouverture accédant au terrain public illégalement accaparé côtoyant la dite décharge, les morceaux de poutres en béton armé qui en interdisent pratiquement le passage, et qu’on a plus tard pris soin de bien dissimuler par le branchage des arbres soigneusement attachés. Ces poutres étant donné leur masse n’auraient autrement pas pu y être amenées ni positionnées. Mais afin de bien préciser les choses, le terrain voisin de la décharge avait été entouré sans coup férir par une muraille grillagée, dont l’accès était commandé par une porte fermée à clé et qui ne s’ouvrait que pour les ouvriers chargés de planter et d’entretenir le gazon, les arbustes, et les plantes, en consacrant ainsi l’occupation.

Le grillage avait dans ses 3/4 fini par être supprimé après plusieurs interventions frileuses des services concernés prétendant à chaque fois avoir accompli leur mission mais qui confrontés à leurs manquements en expliquaient et contre toute évidence  l’impossibilité, en général par la difficulté de l’accès ou du passage. Mais deux années plus tard le fait est là : l’accès étant fermé sur trois côtés, y compris l’étroit passage vers la décharge, et la façade étant occupée par des bacs à fleurs remplis de sable soigneusement alignés sur toute la longueur, la liberté de circuler des piétons n’y est toujours pas assurée et il ne viendrait à l’esprit d’aucun passant de s’arrêter dans ce qui s’apparente à une propriété privée et qui ne l’est pas.

Juridiquement, nonobstant l’occupation illégale d’un terrain public, une fois les services concernés en ayant assuré la liberté du passage, l’occupant qui la supprime après leur intervention tombe en principe sous le coup de l’article 255 du code pénal, qui sanctionne de 15 jours d’emprisonnement et d’amende l’auteur des faits.

L’autorité de tutelle, il y a déjà une année et demie, avait donc pris la décision de porter plainte contre le récidiviste récalcitrant. On pensait que cela serait fait. C’était jusqu’à il y a une dizaine de jours. Des piquets ont alors été établis depuis le terrain précité le long de la route sur lequel une muraille grillagée a été fixée, fermant l’accès du public à la décharge. Une personne, qui s’est avérée être un gardien du voisinage, accompagnant les ouvriers au travail, n’a pas mâché ses mots dans les termes les plus vulgaires  pour prier les curieux, ou les procéduriers demandant un justificatif légal, d’aller voir ailleurs. Il a affirmé qu’il agissait sur instructions de son patron. 

Ainsi un citoyen pouvait envoyer son factotum travailler dans l’espace public sans autorisation officielle, en insultant les passants. Dans le cas d’espèce, l’opposition aux travaux équivalait à un problème entretenu avec la propreté (!!!). L’argument du respect des procédures conduit à l’accusation de saleté, particulièrement, comme c’est justement le cas, lorsque l’auteur se situe dans l’illégalité.

On a eu ainsi la confirmation du rapport entretenu entre la grille implantée interdisant l’accès à la décharge, et l’occupant illégal récidiviste du terrain contigu, qui avait donné son accord (!!!) à l’initiative, et qui n’avait toujours pas été jugé.

Une grave question sécuritaire

Il s’est avéré qu’il s’agissait là de celle d’un habitant de la rue en contrebas, par ailleurs fort poli, posé, courtois, qui se plaignait des détritus tombant dans la rue devant sa propriété et du torrent d’eau qui lors des pluies dévalait désormais de la décharge (ravinée par la lame du bulldozer !!!) au risque d’entraîner un glissement du terrain. Il accusait les services de la voirie d’en être les responsables lors du ramassage des tas d’ordures. Il a prétendu s’entendre répondre par qui de De Droit qu’il n’y avait pas d’argent disponible pour résoudre son problème. Il ignorait évidemment les événements qui depuis deux ans se déroulaient sur le terrain en amont de son domicile, et même tous les travaux qui avaient été menés dans l’illégalité la plus totale; à commencer par ceux en plein confinement durant le Covid.

Pour en revenir au mur grillagé installé le long d’une route fréquentée par des ambassadeurs, parfois par des chefs d’Etats en visite officielle, il est évident que la disparition de la décharge constitue une bonne chose pour le quartier. Le chariot à ordures a été déplacé, mais les citoyens se sont avérés plus propres que prévu: lorsqu’il est rempli, il ne vient à l’idée de personne de déposer ses sachets sur le sol tout autour.

C’est la preuve que l’état d’anarchie qui prévalait dans la décharge n’était pas le fruit du hasard mais aussi prémédité que le creusement par un bulldozer à roues en risquant l’affaissement du sol. Mais ce n’est qu’un aspect de la question. On s’est souvent prévalu de l’embellissement de la ville, pour justifier tous les abus. L’attaque par des chiens, que personne n’avait constatée, avait servi de prétexte à l’occupation du terrain précité, et on avait ensuite argué de l’embellissement du quartier, puis de la dénivellation en contrebas pour garder le grillage sur un côté.

Des citoyens interviennent dans le domaine public sans avoir aucune qualité pour le faire et usent de toutes sortes de raisons. Mais un espace public occupé illégalement, entouré d’arbustes derrière lesquels on ignore ce qui se passe, situé au bord d’une route fréquentée par des personnalités officielles, ne suscite aucune réaction sécuritaire en imposant la taille et l’ouverture à la vue des passants, même lorsque l’occupant fait l’objet d’une mesure municipale.

Un manque de civisme généralisé

Les travaux le long de cette même route théoriquement hyper surveillée, en toute illégalité, quelles qu’en soient les raisons, sont apparemment menés jusqu’à leur terme sans aucune crainte.

Pour mémoire, le juge Giovanni Falcone était mort dans l’explosion de sa voiture blindée près de Trapani parce qu’on avait dissimulé sous l’autoroute sur son passage des charges explosives apparemment déposées quelques mois auparavant dans le cadre de travaux publics.

Il y a donc une grave question sécuritaire qui se pose si les permis de constructions ou de travaux ne sont pas contrôlés. Dans un quartier situé ailleurs, il n’est pas rare que des habitants occupent les terrains contigus à leurs domiciles pour en faire des légumiers, des poulaillers, ou des petits jardins avec arbres fruitiers. Évidemment on n’hésite pas à y faire creuser des puits en toute illégalité afin de puiser directement dans la nappe phréatique, à une époque de sécheresse, où les réserves d’eau n’atteignent que 30% de leur capacité théorique. Comme toujours l’omerta est de rigueur.

Si on veut être équitable, il ne faut pas oublier tous ceux, nombreux, qui pillent quotidiennement les richesses de l’État et qui passent à travers les mailles du filet. Il y a un manque de civisme généralisé qui n’est l’apanage d’aucune classe sociale en particulier et qui menace les fondements de l’État bien plus que ne le feraient tous les hommes d’affaires indélicats du pays. 

* Médecin de libre pratique.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.

error: Contenu protégé !!